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hommes ; parce que l’observation, l’expérience, les connoisiances approfondies & les sciences exactes enfin, soutiennent & appuient inébranlablement ces loix. Les rédacteurs de ces loix sont les hommes de génie qui, en petit nombre, les consacrent dans des écrits immortels ; & c’est lorsqu’elles ont été ainsi promulguées, qu’elles passent de générations en générations, de sociétés en sociétés.

Jettons un dernier coup-d’œil sur ces développemens, en les appuyant par l’observation.

Ces peuplades que nous nommons Sauvages, premiers germes des sociétés les plus civilisées, sont collectivement à l’égard du beau, ce qu’est l’enfant dans son premier âge. Les facultés de ceux qui les composent étant peu exercées sur les comparaisons des objets, sur les rapports des formes, des mouvemens, des proportions de chaque objet avec sa destination, n’ont encore formé, pour ainsi dire, que quelques associations de rencontre. Aussi quelques satisfactions isolées & partielles leur suffisent. Les organes attachés au plus nécessaire, l’esprit restreint au plus indispensable, le sentiment endormi qui n’a que quelques instans passagers de réveil, sont alors aussi loin qu’ils peuvent l’être de cette autre extrémité, où, trop actifs, ils s’égarent dans les abstractions Il existe bien quelques préférences, mais elles sont décidées par une sorte d’instinct ; les satisfactions en paroissent également instinctuelles. Elles ne sont point encore susceptibles d’être assez liées, assez fondues ensemble, pour donner lieu à l’amour développé du beau, pour exciter vivement & avec suite à sa recherche ; & non-seulement son idée peut être regardée comme n’existant pas réellement encore, mais le mot même qui l’exprime doit naturellement manquer dans la plus grande partie des idiômes de ces sociétés naissantes.

Mais sans m’attacher à suivre les progressions qui s’opèrent tôt ou tard, il vient un temps où se développent & l’amour & l’idée du beau. Le mot qui doit l’exprimer se place enfin au nombre des mots qui, dans chaque langage & pour chaque nation, est le dépot authentique des progrès de son esprit ; & c’est, comme je l’ai dit, à l’époque des plus parfaits développements, que le beau proclamé, non par l’individu, mais par la voix des nations & des-peuples, fonde ses titres sur les lumières, c’est-à-dire, sur le ; observations• comparatives, sur le rapport de la plus parfaite convenance entre les objets, quels qu’ils soient, & leurs destinations, sur ce complément enfin de satisfactions, dont l’existence & l’expansion de nos facultés établissent en nous le desir ou l’amour.

Il s’établit donc, sur-tout relativement à nos Arts, un beau que combattroit vainement l’opinion particulière, parce que si elle usoit de toutes ses ressources pour l’attaquer, l’Art lui opposeroit des démonstrations empruntées des sciences les plus positives, ou des connoissances les plus évi-


dentes, telles que les proportions anatomiques, la relation obligée de ces proportions aux usages, les loix invariables du mouvement & de la pondération qui autorisent & justifient les idées du beau relatif aux sens, comme les convenances inaltérables, fondées sur la nature de l’homme & des choses, établissent le beau sentimental & moral, & comme les raisonnements portent jusqu’a la conviction le beau spirituel.

Pour résumer, le beau en général est donc relatif à chaque individu, quoique toujours fondé sur des mélanges de satisfactions des sens, du cœur & de l’esprit. Le beau regardé abstractivement, mais cependant plus positif & moins arbitraire, est relatif aux développemens[1] des facultés & des lumières des hommes réunis. Il devient objet d’un sentiment qui domine toutes les opinions particulières ; il flatte alors les sens, il touche le cœur, il charme l’esprit des hommes qui participent aux progrès des siècles éclairés. Ce beau, qui parvient à étre non seulement vu, senti, mais démontré, est le but où tend, lorsqu’il n’a plus de bandeau, cet amour dont parle Platon, cet amour, consolation des hommes, source de leurs plus véritables jouissances, enfin but & soutien de nos Arts libéraux.

Je dois m’arrêter à ces notions élémentaires. Les détails demanderoient un ouvrage, dont au moins cet article peut indiquer le plan & la marche.

Je me rapprocherai à l’article du mot Beauté plus que je n’ai fait dans celui-ci, des Arts que ce Dictionnaire a principalement pour objet ; mais continuant d’élever les idées du beau & de la beauté artielle, je vais premièrement parler aux Élèves du beau, nommé idéal, qui, dans la Peinture & la Sculpture, est non idéalement, mais sensiblement la perfection de la beauté.

BEAU IDÉAL, (subst. masc.) Le mot idéal présente plusieurs sens dans la langue générale. On entend par projet idéal, un projet à-peu-près chimérique. Cet homme, dit-on quelquefois, est bien idéal, pour signifier qu’il forme un nombre de projets extraordinaires, & le sens du terme dont il s’agit n’est pas alors une louange.

Un obstacle idéal est un obstacle qui n’a pas de réalité, ou qui présente peu de vraisemblance ; enfin, des vertus & des perfections idéales sont, dans un autre sens, des attributs, des qualités portés à des degrés si éminens, qu’on est tenté de croire qu’il n’en existe pas de modèles.

C’est ce dernier sens qui s’approche le plus de ce qu’on a eu dessein de faire signifier au mot beau idéal & beauté idéale dans le langage de la Peinture.

  1. * M. Panckouke, l’éditeur de cette nouvelle Encyclopédie, a fait paroître une petite Dissertation fur le beau relatif aux lumières qui s’établissent parmi les hommes civilisés ; & ce principe est aussi vrai qu’il est philosophique.