Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42 ART ART


d’autres dont le nom & quelques conférences qui nous restent, suffisent pour combattre des raisonnemens faux ou des plaisanteries déplacées.

Mais, quoiqu’on ne développe pas ici tout ce qui a rapport à cet objet digne d’être traité particulièrement, la nécessité d’une première éducation est trop évidente pour être contestée. Je dois donc la mettre au rang des dons faits à mon Artiste, & la lui désirer telle qu’il puisse se plaire & même se délasser en s’instruisant par la lecture, & en écrivant sur son Art. Je veux qu’il enrichisse son imagination, en la nourrissant des ouvrages originaux, où se trouvent déposées les vérités & les fables, soutiens de nos Arts. Je désire qu’il apprenne dans les livres moraux à connoître les hommes & leurs passions, que ses travaux sédentaires ne lui permettent pas d’étudier & de suivre d’aussi près que peuvent le faire des Philosophes observateurs.

C’est ainsi que je le rapprocherais des Artistes célèbres de la Grèce, qui n’étoient admis à exercer la Peinture & la Sculpture, qu’autant qu’ils étoient libres, instruits, exempts de toute impression servile & de tout esprit mercantile. Si mes souhaits, à cet égard, ne peuvent être entièrement réalisés, que mon adepte se fasse au moins l’illusion de se croire destiné à consacrer principalement & aussi librement qu’il lui sera possible ses travaux, aux Héros & à la Patrie !

Il peut atteindre à ces idées, malgré nos préjugés & nos mœurs, parce que la noblesse de l’ame est attachée aux Arts libéraux, & que, malgré tout obstacle, ils élèvent habituellement ceux que la Nature y a destinés, au-dessus des idées vulgaires.

D’ailleurs, il nous reste quelques chefs-d’œuvre des siècles où ces Beaux-Arts étoient le plus honorés. Les idées de la Grèce & de l’Italie circulent encore dans les atteliers & dans les Écoles, comme un élément salutaire qui les vivifie.

Aussi les premières récompenses que doit obtenir mon Artiste, seront l’effet de cette influence sur d’heureuses dispositions ; bientôt animé par l’émulation, je le vois mériter, en accumulant les prix graduels, de faire, sous les auspices du Gouvernement dont il fixe les regards, ce pélerinage intéressant, auquel se vouent tous ceux qui veulent atteindre la perfection des Arts.

Mais ce n’est qu’au terme où les facultés intelligentes marcheront d’accord avec la facilité de dessiner & de peindre, qu’il verra couronner ses desirs & les espérances. Je veux que suffisamment muni de connoissance théoriques, de lectures utiles, d’habitude de voir & de sentir, il se soit plus d’une fois écrié : « O Italie, ô Rome lieux desirés par tous ceux qu’embrase l’amour des Arts, lieux où se trouve encore aujourd’hui cette chaîne d’or-là attachée à la Grèce, étendue jusqui a l’Italie, & de-là dans nos climats, où les chaînons usés amenacent de nous échapper ! Quand serai-je


digne de vous parcourir ? Quand pourrai-je recueillir à mon tour quelqu’un de ces fruits précieux qui communiquent l’immortalité ? »

Après ces exclamations, s’il obtient enfin le prix décisif, & il l’obtiendra dans l’âge le plus propre à en profiter, c’est à quiconque est initié dans les Arts à se peindre son ravissement. Tout ce qui pourroit l’attacher à son pays est oublié, tous liens semblent rompus : il n’a plus d’autre soin, d’autre occupation que les apprêts de son voyage. Le jour, la nuit, dans les rêves, il se croit déjà parvenu au but de ses desirs : il est à Rome ; il court se prosterner devant Apollon au Belvédère, devant Raphaël au Vatican. Tandis qu’il céde à ces premiers transports, mon embarras est de déterminer la méthode qu’il va suivre, pour mettre à profit, le mieux qu’il est possible, le temps si rapide, & peut-être trop court qui lui est accordé pour ce voyage. Donnera-t-il la préférence à l’observation inactive & à la méditation ? Se laissera-t-il entraîner à copier sans cesse pour remporter, lorsqu’il les quittera, le portrait de toutes les beautés dont il jouit & qu’il craint déjà de perdre. Dans cette incertitude, qu’il redoute encore plus de laisser échapper des instans qui ne reviendront jamais. Le temps n’est pas indéterminé, comme lui. Il marche, il vole sans s’arrêter ; mais c’est au sage supérieur qu’une des plus heureuses de nos institutions place dans la Capitale des Arts, pour surveiller les dernières & décisives études de nos Artistes, à le décider. Heureux secours, si dans l’âge de l’effervescence, on êtoit capable d’en bien apprécier l’avantage ! Mon Élève sentira le besoin d’avoir un guide. Il respectera les convenances inséparables d’une subordination nécessaire. Il se considérera d’avance lui-même dans une place qu’il doit mériter. Il se soumettra à l’Artiste vétéran que l’âge & le mérite lui donnent pour supérieur, parce qu’il voudra qu’un jour on condescende à ses soins saturages. Je le vois donc convenablement soumis à ce supérieur, qui connoît, en se rappellant ses premiers temps, avec quelle prudence on doit ménager dans le ; jeunes Artistes, ce que l’effervescence, nécessaire au talent, ajoute à celle de l’âge. Celui-ci, à son tour, éclairera ses Élèves par des raisonnemens & des démonstrations, c’est-à-dire, par des conseils & des exemples. Il se montrera à eux comme un père & un ami, titres préférables à ceux de maître & de supérieur.

C’est donc lui qui, d’après le caractère, les connoissances acquises, les dispositions & les penchans qu’il reconnoît à mon Artiste, le suivra, comme Mentor suivoit Télémaque dans ses erreurs & dans ses travaux. Son indulgence excusera quelques foiblesses, dont on ne doit pas tirer un trop prompt ni trop rigoureux présage. Sa prudence observera des travaux quelquefois rallentis par des méditations, quelquefois obscurcis par le découragement, & qui quelquefois aussi sont exaltés