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Pour peu qu’on s’arrête à cette observation, on est tenté sans doute de dire : « Nature, à quoi donc nous as-tu véritablement destinés, puisque notre organisation exige, pour conserver sa force & sa beauté, que des occupations corporelles s’entremêlent sans excès & sans effort avec le repos & les délassemens, donc un penchant & un besoin universels nous font la loi, & que cependant il faut, pour parvenir aux perfections de l’esprit, auxquelles tu nous appelles par de si vifs desirs, se consacrer à des études & à des méditations qui trop souvent épuisent notre ame, défigurent notre conformation, altèrent nos organes & terminent nos jours au sein des douleurs ? »

Mais gardons-nous, pour l’intérêt des sociétés & des Arts, de nous fixer à cette réflexion décourageante. Hâtons-nous plutôt de joindre à la justesse, à la souplesse des organes, à la conformation heureuse, à la bonne complexion, dont nous avons déjà enrichi notre Artiste, les dons spirituels que nous croyons les plus favorables à ses succès & à son bonheur.

Si nous avons mis à la tête des qualités physiques la justesse & la prompte flexibilité des yeux de la main, il est conséquent de placer au premier rang des qualités intellectuelles, la droiture de l’esprit & sa vivacité. Joignons-y une mémoire fidèle & docile.

La mémoire se fortifie & s’augmente par l’habitude qu’on se fait de rappeller souvent les idées qu’on a reçues ; comme la facilité & l’adresse des organes s’acquiert en répétant les mêmes mouvemens.

Mais comme on peut distinguer différens caractères de mémoire, préférons de douer notre Artiste de celle des idées, des objets & des formes, & laissons aux Savans celle des dates, des faits & des noms qui leur est indispensable.

La mémoire des idées aide à former dans les Arts & pour la moralité de l’homme, la chaîne de ce qu’on appelle principes, sans laquelle on ne pense, on n’agit, on ne travaille qu’au hasard.

La mémoire qu’on peut appeller locale, celle des objets & des formes, est le magasin de vérités pittoresques, où l’Artiste doit trouver ce qu’il a rassemblé pour le besoin de son Art. Cette mémoire n’est pas très-commune, & si l’on se donne la peine d’observer, on distinguera facilement dans la société ceux qui en sont privés, parce qu’on ne leur trouvera pas dans le discours une précision & une certaine justesse descriptive qui proviennent de cette sorte de mêmoire. Elle est indispensable sur-tout aux Peintres, dont les imitations doivent être justes & les formes précises. Elle est presque aussi nécessaire à ceux qui veulent juger des ouvrages de la Peinture, parce qu’il faut pour porter un bon jugement, qu’ils se rappellent exactement les formes & les objets imités.


Mais les deux espèces de mémoire dont je viens de parler, demandent que notre Artiste, pour en faire un usage brillant, soit doué d’imagination.

Donnons-lui donc cette faculté d’emmagasiner avec activité les images choisies de tout ce qui tombe sous les sens, & de les retrouver, avec la même promptitude, au moindre desir, pour les reproduire & les assembler à son gré.

Rien n’est si essentiel à l’Artiste, dont la destination est de créer, sans cependant être véritablement créateur, que de pouvoir recueillir & mettre en œuvre rapidement les images de tout ce qui existe, par rapport à l’homme. Aussi voit-on ceux qui sont dénués de cette faculté chercher dans les dessins, les études, les estampes, ce qui leur manque, & dérober ainsi dans le magasin des autres, parce qu’ils n’ont pu s’en former un.

Mais la mémoire & l’imagination seroient insuffisantes pour les succès auxquels nous préparons notre. Artiste, si le jugement ne formoit la liaison des idées & le juste enchaînement des principes. C’est lui qui doit soumettre tout ce que produira notre Peintre aux convenances générales & aux grandes conventions qui existent detout temps, ou qui s’établissent parmi les hommes.

Mes dons s’étendroient jusqu’à la prodigalité, si je suivois l’intérêt que n’ont cessé de m’inspirer, depuis ma tendre jeunesse, & les Arts & les Artistes. Je leur donnerois (semblable à celui qui croit tout nécessaire à ce qu’il aime) la franchise de l’ame, parce qu’elle repousse ce qui est faux dans les formes, comme elle rejette les sentimens affectés ; la fermeté de caractère, qui met une suite opiniâtre dans les bonnes études, comme elle en met dans la bonne conduite ; une patience, propre à surmonter les difficultés, sans éteindre le feu de l’émulation ; un desir intelligent de la gloire, qui n’anticiperoit pas sur l’acquisition des moyens ; une aptitude à être ému, effet d’une conception vive ; enfin, la sensibilité, sans laquelle il n’est point de succès à espérer.

J’hésite ici, je l’avoue, sur la mesure qu’il faudroit lui donner ; car celle qui répandroit l’intérêt le plus touchant sur les productions de l’Artiste, & dans l’ame de ceux qui doivent s’en occuper, pourroit bien aussi troubler quelquefois la sienne. Si cet inconvénient est inévitable, prémunissons cette ame sensible par une sagesse courageuse, amie de l’ordre & des convenances, seule propre à servir d’appui dans les circonstances pénibles ou dangereuses, auxquelles elle pourroit se trouver exposée.

Et quand ce secours ne seroit pas infaillible, pourroit-on se résoudre à priver celui dont l’occupation habituelle doit être de plaire & de toucher, de ce qui seul plaît & touche véritablement ? Que tout Artiste donc, qui n’a le cœur susceptible ni d’amour, ni de tendre amitié,


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