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décisions ; si, en voulant autoriser ces impressions par quelques raisonnemens, ils les accompagnoient de ce doute modeste ; de cette juste réserve qui soumet les productions des Arts en dernier ressort, à ceux dont l’occupation continuelle est de les pratiquer. Mais que trouvent le plus souvent les Artistes égarés dans le tumulte des cercles & dans la société ? Des ames froides, auxquelles les Arts & leurs productions sont au fond très-indifférens, quoiqu’elles paroissent quelquefois s’y intéresser ; des enthousiastes hors de mesure, la plupart comédiens de sentiment, des dissertateurs, diffus & vagues, pleins de bonne opinion d’eux-mêmes, qui soutiennent opiniâtrément les sentimens qu’ils ont adoptés, souvent par hazard, ou en les empruntant d’autrui ; des discoureurs plus modérés, mais plus à charge encore, qui, fort instruits de tous les lieux communs des sujets qu’on traite le plus ordinairement dans les conversations, ne connoissent cependant aucun des détails importans qui appartiennent aux Arts ; des hommes enfin, & malheureusement des femmes qui, aux justes droits qu’on leur reconnoît, ajoûtent celui de prononcer sur les réputations & sur les talens, objets qu’elles ne croyent pas plus importans que beaucoup d’autres dont elles ont eu de tout tems le droit de décider souverainement.

Ce que les Artistes rencontrent aussi plus souvent qu’autrefois, ce sont des possesseurs de collections qui s’en occupent vivement lorsqu’ils les font admirer, & les oublient dès qu’ils sont seuls avec elles ; semblables en cela à ces époux mal-assortis, qu’on voit affecter en compagnie l’intérêt le plus édifiant, & qui tête-à-tête s’abandonnent à l’ennui qu’ils se causent & à l’indifférence qui les glace.

Mais, après avoir tracé l’esquisse des ridicules peu favorables aux Arts & aux Artistes, il est juste d’observer que ceux-ci contribuent eux-mêmes à les multiplier. Le desir d’anticiper leur réputation, de s’approprier par préférence les occasions d’accroître leur célébrité & les avantages moins nobles qu’ils peuvent tirer de leurs talens, osons dire avec franchise, la cupidité augmentée par le luxe & nourrie par la dissipation & la frivolité, les entraînent à flatter des ridicules qui nuisent à leurs véritables intérêts, en avilissant ou en égarant leurs talens.

C’est donc de l’excès & de la multiplicité des prétentions réciproques, c’est de l’impression que font trop souvent sur les Artistes les noms, les rangs & les richesses, que naissent la plûpart des défauts qui altèrent les ames des Artistes & leurs ouvrages.

Ce qui résulte de ces observations, je l’adresserai à tous ceux qui se destinent aux Beaux-Arts, ou qui les pratiquent déjà avec succès.

Si vous n’avez pas un tempérament moral, ferme & robuste, ne faites que voyager quelque-fois dans la société sans vous y établir ; autrement, refroidis par l’indifférence, tourmentés par le caprice & l’ignorance, enchaînés par les opinions régnantes & par les modes, vous participerez à toutes les erreurs & à toutes les passions de votre siècle. Il vaudroit mieux sans doute, pour vos progrès & pour votre bonheur, que vous vous fussiez voués à une retraite presqu’absolue ; car la solitude occupée, en portant les hommes à méditer, leur inspire au moins une modération & un calme favorables à leurs succès.

Après m’être peut-être trop étendu sur les abus qui ternissent quelquefois le nom d’amateur, nom fait pour être estimé, je dois dire qu’il a existé qu’il existe sans doute encore des amateurs, vraiment dignes de ce titre honorable. On en peut nommer qui, par des observations & des travaux suivis jusqu’à la fin de leur carrière, par des connoissances acquises dans une vie retirée, par un jugement sain, par l’équilibre de l’ame & par le secours de collections faites avec ordre intelligence, ont joint aux lumières relatives aux Arts, cette érudition historique qui instruit de leur marche, de leurs progrès, & qui leur devient réellement utile. Il en est qui suivront cette route tracée, entr’autres par MM. Mariette, de Niert, Calviere, Caylus, & plus anciennement par de Piles, Félibien, &c. Il s’en élève qui, dans les loisirs de différens états, dans des rangs distingues, dans les âges des passions, pratiquent véritablement les Arts pour parvenir à les éclairer. Il est des femmes qui parent leurs attraits leurs graces de talens plus durables que ces avantages passagers. Elles acquièrent & trouvent dans d’aimables occupations un préservatif contre l’ascendant de la dissipation, & se préparent des ressources pour les temps où cette dissipation perd ses charmes & où la fatigue se substitue insensiblement au plaisir qu’on y cherche. Elles joindront à ces avantages l’honneur d’être immortalisées dans les fastes de ces mêmes Arts qu’elles honorent ; surtout, si en se garantissant de la manie de protéger, du danger des préventions & du sentiment de leur juste & naturel ascendant, elles n’abandonnent pas le bonheur plus grand de s’instruire & de jouir des talens qu’elles savent embellir.

Puissent les Amateurs de ces classes aimables bienfaisantes se multiplier pour l’avantage des Beaux-Arts & l’honneur de ma Patrie ! Puissent les autres exagérer assez leurs ridicules prétentions, pour devenir dignes de subir au théâtre la punition que Molière imposa aux précieuses & aux faux savans de son siècle !

Qu’il me soit permis d’adresser encore quelques mots aux jeunes aspirans à ce titre d’Amateur, si estimable lorsqu’on le mérite.

Les petites pratiques de la Peinture, d’après lesquelles vous pourriez vous croire connoisseurs & juges des ouvrages de l’Art, ne donnent pas


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