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ACT ACT 9

Rien de plus ordinaire que de voir faire des esquisses & ébaucher des compositions. Rien de plus rare que de voir achever ces entreprises. S'accoutumer à finir est cependant un moyen d'exécuter enfin des ouvrages qui méritent le nom d' achevé.

Quant au terminé & au précieux, souvent une patience froide & le temps y conduisent ; mais en finissant trop de cette manière, on est loin d'offrir des ouvrages achevés.

Toute manière de peindre est généralement bonne, ce principe est prouvé par les beaux ouvrages exécutés par tous les différens moyens de l'Art. Cependant, on doit en effet préférer celle qui convient le mieux à l'ouvrage qu'on entreprend.

Peignez donc d'une manière large, par masses & à grands effets, les ouvrages qui occupent un vaste espace, ceux qui sont destinés à être regardés de loin & dans un point de vue fort élevé. Si vous allez en Italie, vous observerez que les plus célèbres Maîtres, en exécutant ainsi les grands ouvrages ont fait des ouvrages achevés.

Caressez les tableaux qui doivent être exposés sous la vue, sur-tout s'ils représentent des objets aimables qu'on se plaît dans la nature à voir de près, & que l'œil, pour ainsi dire, caresse en les regardant ; tels sont les charmes détaillés de la beauté, les formes & le coloris des fleurs. Celui qui s'occupera de vos imitations exigera de votre pinceau une partie du plaisir qui le fixe sur ces objets, lorsque la nature les lui présente. Il voudra que l'image que vous en faites, les rappelle à son imagination avec tous leurs charmes. Vous ne remarquerez peut-être que trop d'ailleurs que le précieux est un moyen presque sûr d'attacher ceux qui ont peu de connoissance de la Peinture ; mais, à cet égard, pensez aussi qu'il est contraire au véritable intérêt de l'Art de se prêter aux desirs de l'ignorance. Ce sont les suffrages des hommes instruits & de la classe la plus intelligente, qui vous assureront une réputation durable, & c'est en sachant terminer & cependant n'être précieux qu'à propos & avec une juste mesure, que vous atteindrez la perfection.

ACTION, (subst. fém.) On dit : Cette figure a de l'action.

Cette phrase signifie qu'une figure dessinée, peinte ou sculptée paroît agir.

On dit aussi d'un Comédien : Cet Acteur a de l'action, est sans action. Le Comédien est regardé comme figure du tableau que le Théâtre présente aux Spectateurs.

On dit encore qu'une figure a du mouvement, & l'on pense communément que dans cette manière de s'exprimer, mouvement & action, sont à-peu-près synonymes ; mais il n'est point de véritables synonymes, & je crois que dans le langage de la Peinture, on peut distinguer l' action du


mouvement, j'ajouterai qu'il. est aussi des passions qui ne produisent ni action ni mouvement, & qui ont une expression très-caractérisée. Telles sont l'abattement, la volupté, la mélancolie, dont les expressions, la plupart passives, arrétent le mouvement & suspendent l' action, plutôt qu'elles ne font agir & mouvoir ceux qui en sont affectés.

D'une autre part, considérez des hommes qui marchent avec vîtesse, qui rament avec force, qui arrachent un arbre, qui tirent un poids considérable ; ces figures ont de l'action, du mouvement, & ne sont affectés d'aucune de ces impressions de l'ame qu'on nomme passions, auxquelles le mot d' expression est principalement consacré.

L' action peut n'exiger du mouvement que de quelques parties, sans que la figure se déplace ; le mouvement donne une idée plus générale de déplacement, & l' expression des grandes passions veut que toutes les parties du corps participent de l'affection qui occupe & détermine l'ame, soit que la figure agisse ou n'agisse pas.

Quelques exemples donneront une idée plus sensible de ce que je viens de désigner. Salomon est représenté assis sur son trône : il a avancé un bras pour ordonner de partager en deux un enfant que l'on tient devant lui ; je suppose que le visage du Prince soit entièrement caché : son geste seul peut autoriser à dire que cette figure a beaucoup d' action. Il ne me paroîtroit pas aussi juste de dire qu'elle a du mouvement, puisqu'un seul geste produit en elle ce que j'appelle action.

Une femme court se jetter entre deux combattans : toutes les parties de son corps paroissent concourir à la précipitation de sa course ; elles sont représentées dans les positions qui leur sont nécessaires, qu'elles doivent occuper pour s'entr'aider & pour favoriser l'intention de cette femme ; on croit enfin la voir changer de place. L'on dira : cette figure a beaucoup de mouvement, & je crois que le mot action ne conviendroit pas autant à cette figure.

Ces deux exemples feront entendre les nuances peut-être un peu délicates que je pense qu'on peut admettre dans le sens des mots action, mouvement & expression, appliqués à la Peinture.

L' action, ainsi que le mouvement, demande une grande connoissance de l'Anatomie. Le mouvement en exige sur l'équilibre & la pondération, parce que la juste imitation des apparences extérieures des membres, des os & des muscles dans l' action, & celle de la distribution du poids des différentes parties dans le mouvement peuvent conduire. seules l'Artiste à son but. Quant à l' expression, qui est accompagnée d'action & de mouvement, il faut joindre aux sciences positives que je viens de désigner, une science plus profonde que j'oserai appeller l'anatomie de l'ame & du cœur, & l'étude des effets que produit la rupture de leur équilibre moral,

Beaux-Arts. Tome I. B