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iv NOTIONS PRÉLIMINAIRES.


D’un autre côté, si les ouvrages de la Sculpture, de l’Architecture & de la Peinture ; dont une matière quelconque est partie constituante, demandent pour se produire une lenteur, & offrent ensuite une immobilité qui semble différer absolument de toute action purement spirituelle ; d’un autre côté, (dis-je) l’influence que peut avoir sur eux l’esprit de ceux qui les composent, s’y manifeste bien plus long-tems, puisque l’action, la parole & le chant n’imitent & n’expriment que pendant un instant ; au lieu que la Sculpture, l’Architecture & la Peinture peuvent parler pendant plusieurs siècles.

Il doit résulter & il résulte en effet de cette différence & de la nature intelligente & ingénieuse de l’homme, qu’aussi-tôt qu’il s’occupe à perfectionner les Arts, il s’efforce de donner, autant que cela lui est possible, aux productions mobiles & transitoires la durée qui leur manque, & à celles qui sont fixes & durables, le mouvement dont elles sont privées, ou ce qui peut en rappeller l’idée.

Cependant (comme je l’ai dit) l’influence des sentimens qui produisent les grandes institutions est ce qui seul peut porter les Arts ou langages libéraux aux perfections & aux beautés sublimes, parce que l’élévation & la sorte d’unanimité d’idées dont les grandes institutions sont susceptibles, ont seules la puissance d’affranchir la beauté & la perfection d’une servitude où les retiendroit, sans cela, l’opinion particulière que chacun se croiroit en droit d’en avoir ; ainsi plus les grandes institutions s’élévent à la hauteur où elles peuvent atteindre, plus elles peuvent porter les Arts à la sublimité ; plus les grandes institutions s’affoiblissent, se corrompent, sont imparfaites, sont incohérentes entre elles, plus les Arts retombent dans la servitude de la personnalité ; parce qu’alors chacun reprend de plus en plus le droit d’être juge absolu des perfections qui n’ont plus de modèle fixe & sur lesquelles il ne peut plus y avoir d’unanimité.

Ce jugement personnel absolu, que je nommerai despotisme d’opinion, est donc ce qui dégrade les Arts en les asservissant, comme le despotisme de puissance dégrade les hommes en les rendant esclaves.

Si ces principes sont vrais, (& je les crois tels) c’est la personnalité exclusive qui produit le mauvais goût, comme elle produit la plus grande partie des désordres moraux. Qui pourroit en effet nier que l’orgueil & son faste, les voluptés désordonnées & leurs délires, le désoeuvrement & ses caprices inquiets, tous attachés à cette personnalité dont je parle, ne soient en tous tems & en tous lieux pour les Arts ainsi que pour les moeurs, des sources abondantes d’égarement & de corruption ?

Mais lorsque l’influence de ces égaremens qui, dans les nations étendues & florissantes, paroît inévitable d’après la constitution générale des choses humaines, entraîne les Arts ainsi que les moeurs vers leur décadence, ne reste-t’il aucune ressource qui en retarde la chute ?

Il en est une ; elle s’oppose à un assez grand nombre d’erreurs & d’imperfections, elle suspend les funestes effets du mauvais goût ; & cette ressource est l’intérêt personnel lui-même, mais éclairé, réfléchi & le mieux entendu possible. Cependant quelque bien qu’il puisse opérer à cet égard, ce seroit s’abuser que d’en attendre l’élévation d’idées & les effets sublimes que les Arts obtiennent des grandes institutions ; parcequ’indépendamment de l’enthousiasme qui n’est propre qu’à elles, qu’elles seules peuvent allumer & attiser, il faudroit supposer dans la plupart des hommes une étendue de connoissances & de lumières qui n’est le partage que du plus petit nombre. En effet, il n’est que trop facile d’observer à chaque instant combien peu d’hommes sont capables de démêler avec justesse ce que demande leur véritable intérêt, même dans les cir-