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servation des alimens, & d’autres à les rendre de plus facile digestion.

La conservation des alimens est un point très-important. Indépendamment de la disette dont les régions les plus fertiles sont quelquefois affligées, les voyages de long cours exigent nécessairement cette conservation. La méthode pour y parvenir est la même par rapport aux alimens du règne végétal, comme à l’égard des alimens du règne animal. Cette méthode dépend de l’addition, ou de la soustraction de quelques parties qui tendent à empêcher la corruption ; & ce dernier moyen de conserver les alimens tirés des animaux, est le plus simple. Il consiste dans la dessication qui s’opère à feu lent & doux, & dans les pays chauds à la chaleur du soleil. C’est, par exemple, de cette dernière manière qu’on fait dessecher les poissons qui servent ensuite de nourriture.

On peut aussi soustraire aux sucs des animaux toute leur humidité superflue, & la leur rendre à propos ; puisqu’ils sont mucilage, ils peuvent éprouver cette vicissitude : de-là vient l’invention des gelées & des tablettes de viande, qui souffrent le transport des voyages de long cours ; mais comme ces tablettes ne sont pas sans addition, elles appartiennent plus particulièrement à l’espèce de conservation qui est très-ordinaire, & qui se fait par l’addition de quelque corps étranger, capable d’éloigner la putréfaction par lui-même : c’est ce que produisent le sel marin & le sel commun. Les acides végétaux, le vinaigre, les sucs de verjus, de citron, de limon, &c. sont encore propres à cet effet, parce qu’ils resserrent les solides des animaux sur lesquels on les emploie, & rendent leur union plus intime & moins dissoluble.

On conserve aussi les viandes tirées des animaux par des sels volatils atténués par la déflagration des végétaux, & par des sels acides volatils mêlés intimement avec une huile fort atténuée ; tels sont les alimens fumés : mais cette préparation est composée de la dessiccation qui en fait une grande partie. Cependant il est certain que l’huile qui sort de la fumée, & ces sels très-subtils prenant la place de l’eau qui s’évapore du corps de la viande, doivent la rendre beaucoup moins altérable. L’expérience le démontre tous les jours, car les viandes & les poissons que l’on prépare de cette façon se gardent davantage que par toute autre méthode.

Il est plusieurs autres manières de conserver les alimens ; mais comme elles sont fondées sur les mêmes principes, je ne m’y dois pas arrêter. Ainsi en cuisant les viandes, soit qu’on les fasse bouillir, ou rôtir, on les conserve toujours mieux qu’autrement, parce qu’on retranche beaucoup de leur mucilage. On peut aussi conserver pendant quelque temps les parties des animaux & les végétaux, sous la graisse, sous l’huile, sous les sucs dépurés, qui empêchent leur fermentation ou leur pourriture en les défendant de l’air extérieur. Enfin les aromatiques, tels que le poivre, les épices, sont des conservatifs d’autant plus usités, qu’ils donnent ordinairement une saveur agréable aux alimens : cependant il est rare que le sel n’entre pas pour beaucoup dans cette préparation. Ajoutons que la dessiccation concourt toujours ou presque toujours avec les aromatiques, pour les alimens qu’on veut long-temps conserver.

Dans ce qui concerne l’art de rendre les alimens des deux règnes plus faciles à digérer, la première règle en usage est une préparation de feu préalable & forte, sur-tout à l’égard des viandes, parce que les fibres de la chair crue adhèrent trop fortement ensemble pour que l’estomac des hommes puisse les séparer, & que le mucilage qui les joint, a besoin d’une atténuation considérable, afin d’être plus soluble & de digestion plus aisée. C’est pourquoi on emploie l’ébullition dans quelque liquide, comme dans l’eau, dans l’huile, dans le vin, &c. ou l’action d’un feu sec qui les rôtit & les cuit dans leur suc intérieur.

L’addition des différentes substances qu’on joint à cette première préparation, concourt encore à faciliter la digestion, ou à servir de correctif. L’assaisonnement le plus ordinaire pour faciliter la digestion, est le sel, qui en petite dose irrite légèrement l’estomac, augmente son action & la sécrétion des liqueurs. Tout correctif consiste à donner aux alimens le caractère d’altération contraire à leur excès particulier.

Mais à l’égard de la science de la gueule, si cultivée, qui ne s’exerce qu’à réveiller l’appétit par l’apprêt déguisé des alimens, comme j’ai dit ci-dessus ce qu’on devoit penser de ces sortes de recherches expérimentales de sensualité, je me contente d’ajouter ici, que quelqu’agréables que puissent être les ragoûts préparés par le luxe en tout pays, suivant les caprices de la gastrologie, il est certain que ces ragoûts sont plutôt des espèces de poisons, que des aliments utiles & propres à la conservation de la santé. On trouvera dans l’Essai sur les alimens, par M. Lorry, célèbre médecin de la faculté de Paris, une judicieuse théorie physiologique sur cette matière.

Comme dans les apprêts de la cuisine on doit consulter au moins autant la santé que le goût des convives, il n’est pas indifférent de commencer par donner ici quelques aphorismes que M. Cheyne, médecin Anglois, établit dans son Essai sur la manière de conserver la santé. Il fait consister le mérite des alimens dans une digestion facile. C’est d’après ce principe qu’il en déduit ainsi leurs divers degrés de bonté.

1°. Les animaux & les végétaux qui viennent le plus promptement en maturité, sont d’une digestion plus facile que ceux qui sont plus long-temps à se former.

2°. Ceux qui sont plus petits dans leur espèce, sont moins difficiles à digérer que les grands,

3°. Ceux qui sont d’une substance sèche, charnue & fibreuse, sont plus digestibles que ceux qui sont huileux, gras & visqueux.

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