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elle évite le transport çà & là des échelles, des paniers, &c.

Voici encore une proposition qui paraîtra paradoxale à bien des gens ; j'ose avancer qu'on doit planter dans les endroits les plus froids & les plus battus des vents, les arbres à fleurs les plus précoces, comme abricotiers, pêchers, amandiers, &c. Ces arbres, originaires d'Arménie & de Perse, se trouvent en France dans un climat bien différent ; cependant ils y fleurissent dès que le degré de chaleur de l’atmosphère est le même que celui qui les mettoit en fleur dans leur pays natal ; ils ont beau avoir changé de climat, ils obéissent, quand les circonstances ne s'y opposent pas, à la loi que la nature leur a assignée dans le nouveau. Aussi voit-on, lorsque les fortes gelées sont tardives, des pêchers, des amandiers fleurir au commencement de nivôse & souvent de pluviôse ; or, en plaçant ces arbres dans l'endroit le plus froid & le plus exposé aux grands courans d'air, ils ne fleuriront pas en pure perte, aussi-tôt que les autres arbres de leur espèce, plantés contre de bons abris. D'ailleurs ils fleuriront plus tard au printems ; le développement & l’épanouissement étant retardés, la fleur craindra beaucoup moins les funestes effets des gelées tardives du printems. Admettons encore que ces arbres soient en fleurs dans le même tems que le seront ceux qui sont bien abrités, je ne crains pas de dire que les fleurs de ces derniers seront bien plus maltraitées que les autres, en raison de l’humidité qui les recouvre, tandis que le courant d'air l’aura dissipée sur les fleurs des premiers. On fera très-bien cependant d'avoir de bons abris pour les pêchers, les abricotiers, les amandiers, sur-tout dans les départemens du nord, afin que si les gelées détruisent les fleurs des arbres plantés sur l’élévation, elles n'endommagent pas celles des arbres bien abrités, & ainsi tour-à-tour. J'ai observé un très-grand nombre de fois, dans l’intérieur de la république, que les gelées du printems nuisoient plus aux arbres des bas fonds qu'à ceux des coteaux ou des éminences. Les sols argílleux sont à comparer aux bas fonds, ils retiennent l’eau trop long tems, quand une fois ils en sont imbibés ; la chaleur a-t-elle dissipé leur humidité ? leurs molécules se resserrent, s'adaptent les unes aux autres, & en masse se durcit au point que les racines n'ont plus la liberté de s'étendre. Les fruits cueillis sur ces arbres n'ont ni saveur, ni parfum, & ces arbres offrent sans cesse le triste spectacle de la nature souffrante, & qui dépérit insensiblement.

Les jardins fruitiers sont communément environnés de murs, soit afin de défendre les fruits contre le pillage, soit pour se procurer de beaux espaliers. Les arbres y sont plantés & taillés ou en espalier ou en contre-espalier, ou en éventail,


ou en buisson, ou bien livrés à eux mêmes, s'ils sont à plein vent. Tout le monde convient que le fruit de ces derniers est infiniment supérieur au goût ; mais dans les départemens du Nord, la chaleur n'est souvent pas assez forte pour lui faire acquérir une parfaite maturité : il convient, & on est forcé alors de les tenir ou à mi-tige, ou ravalés par une taille quelconque, soit en éventail, soit en buisson. Le premier offre le long d'une allée une jolie tapisserie de verdure, singulièrement embellie au tems des fleurs, & très-riche lorsque les fruits ont acquis leur grosseur & leur couleur ordinaire ; mais la monotonie est fatigante. Les seconds permettent à la vue de pénétrer à travers le vide qui reste entre eux, à mesure qu'ils s'éloignent & forment une cloche dont l’évasement est au sommet. Il est certain que si tous ces arbres sont à la même hauteur, que s'ils ont un égal diamètre, ils produisent un très-bel effet.

On n'aime pas la bigarrure le long des allées ou des espaliers, que présentent les arbres à mi-tige, placés alternativement avec les arbres nains : ou tout un, ou tout autre. Le mi-tige seul figure très-bien, & la vue se promène agréablement par-dessous. L'arbre en éventail fait tapisserie, & ne permet pas de voir au-delà, pour peu que ses branches soient élevées. Lorsqu'on plante, on doit considérer, 1°. L’utile, 2°. l’agréable.

Admettons qu'on ait à former ta totalité d'un jardin fruitier, & qu'on désire avoir des arbres sous toutes les formes ; les allées une fois tracées, le sol divisé par plattes-bandes ou par quarreaux, on réservera les quarreaux du fond aux arbres à plein vent, les quarreaux qui les précèdent seront destinés aux arbres à mi-tige, ceux en avant aux arbres taillés en buissons ; les seconds quarreaux aux arbres nains, livrés à eux-mêmes, & tels qu'ils pousseront après les avoir ravalés après leur plantation, & encore mieux sans les avoir ravalés ; enfin, les quarreaux sur le devant seront occupés par des arbres taillés en éventail.

On sera peut-être étonné que je place dans le nombre des nains des arbres qui ne seront point sujets à la serpette ni à la taille, outre qu'ils produiront un effet pittoresque, & un peu sauvage au milieu de ces arbres symmétriquement arrangés, j'ose assurer que chaque année ils se chargeront de beaucoup plus de fruits que les autres, & l’on sera surpris de leur étonnante végétation. Enfin, après une longue suite d'années, on les mettra, si l’on veut, & sans courir aucun risque, en arbres à plein vent ; il suffira petit-à-petit & médiocrement chaque année, de supprimer les branches les plus basses, & de recouvrir soigneusement les plaies avec l’onguent saint


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