DISCOURS PRÉLIMINAIRE,
Par M. de Kèralio, major d’infanterie, chevalier de L'ordre royal & militaire de Saint Louis ; de l'académie royale des inscriptions & bel!es lettres, & de celle des sciences de Stockholm ; censeur royal ; interprète à la bibliothèque du Roi.
Si je publiois un corps de doctrine militaire, disposé suivant l'ordre dans lequel j'en considère les parties, tout l'ouvrage montreroit cet ordre, & je serois dispensé de le développer dans ce discours. Il suffiroit d'y exposer les progrès de l'art depuis les premiers temps dont nous avons la mémoire, de le présenter s'élevant lentement avec touts les autres arts desquels il tire ses forces, de faire voir qu'aux mains des rois qui sçavent régner, c'est une égide qui défend les peuples contre d'injustes agresseurs, & que, dans celles des puissances que la soif de la domination & des richesses prive de raison, c'est le glaive dont un insensé frappe au hasard toute la nature.
Mais la disposition du grand tout dont cet ouvrage est une portion m'assujettit à un autre plan. Elle m’astreint à disperser touts les détails suivant l'ordre alphabétique, à répandre dans plusieurs articles ceux que je viens de rappeller, & à présenter ici le système encyclopédique dans lequel j'ai conçu & rassemblé toutes les parties de l'art militaire. J'ssignerai ensuite la place que cet art occupe dans le système général des connoissances humaines, & je rendrai compte de la manière dont j'ai traité cette partie de l'encyclopédie méthodique.
Touts les arts appliquent à l'usage de l'homme certaines puissances ou forces de la nature. Celles que l'art militaire emploie sont les HOMMES & les ARMES. Mais ces deux instruments n'ont leur pleine utilité qu’autant qu'ils sont disposés dans l'ordre
le plus convenable à l'objet de l'art. Voilà donc trois grandes parties qui constituent son essence, & trois principales divisions sous lesquelles on peut le considérer, sçavoir les HOMMES, les ARMES, & la TACTIQUE GÉNÉRALE.
PREMIÈRE DIVISION.
Des hommes.
La nature produit avec abondance la matière de nos instruments, & nous laisse le soin de les former. Voyons par quels moyens les HOMMES peuvent deven1r de bons instruments de guerre.
Puisqu'ils sont des êtres moraux, la raison demande que leurs mouvements soient réglés & dirigés par des loix. Si vous ne les conduisiez avec ce frein, vous n'auriez que des espèces de brutes, incapables de réunir leurs forces, d'observer un ordre, de le conserver, de passer de l'un à l'autre, d'obéir à toutes les impulsions que demande l'art & qu'ordonne le génie.
La nature, infiniment variée dans ses productions, distingue souvent par de grandes différences jusqu'aux individus de chaque espèce : elle forme parmi les hommes des nains & des géants, des Sybarites & des Crotoniates, des Achilles & des Thersites. Il faut donc faire choix des hommes propres à la guerre : il faut de plus fournir à leurs besoins : il faut enfin développer & fortifier par l'exercice leurs qualités naturelles.
Art militaire. Tome 1. a
