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supporter des charges ou à vaincre des résistances. Le même principe ce paroîtra point applicable, dans le détail surtout, à plus d’une sorte de voûte, à des portiques, à des arcades, et même à plus d’un entre-colonnement.

Par exemple, s’il s’agit des arches d’un pont, le simple bon sens prescrira en beaucoup de cas, de donner aux vuides de sa construction la plus grande extension possible, aux dépens de la masse de sespleins. Le pont étant destiné à donner le plus d’espace qu’il est possible, au passage des eaux, exige dès-lors, qu’en augmentant l’ouverture des vuides, on restreigne en proportion la masse des pleins. Levuide, en ce cas, et dans plusieurs autres semblables, doit l’emporter sur le plein.

L’architecture antique, jusque dans l’emploi des colonnes, semble témoigner en faveur de la théorie qui est le sujet de cet article. Je veux parler de l’espacement qu’ils donnèrent à leurs entre-colonnemens, en proportion du caractère plus ou moins grave de chacun de leurs ordres. Ainsi l’on sait, que le plus ancien dorique dans quelques monumens de cet ordre, a ses entre-colonnemens tellement serrés, qu’ils n’ont, mesurés en bas, que la largeur du diamètre des colonnes, ce qui, par le fait, rend le vuide à peu près égal au plein. Il est vrai de dire que la mesure des entre-colonnemens chez les Grecs, fut plus qu’on ne pense subordonnée à la mesure des plates-bandes d’une seule pierre, qu’ils employoient dans les architraves.

Cette raison cependant ne fut pas la seule qui, chez les Anciens, influa sur les rapports des vuides et des pleins, dans les ordonnances des colonnes. Vitruve, en détaillant les variétés d’entre-colonnemens, selon la diversité des ordres et de leurs proportions, fait assez sentir, que de ces rapports divers entre les pleins et les vuides, résulte pour l’œil et pour l’esprit, une différence de caractère, et par conséquent d’effet et d’impression, très-sensible. On peut donner en exemple le pycnostyle, dans lequel l’aspérité des colonnes donne une plus grande autorité aux colonnades, et l’araeostyle, où d’autres dispositions d’entre-colonnemens trop larges, donnent à tout l’ensemble un aspect diffus et lourd.

En considérant l’emploi des vuides et des pleins, en architecture, sons le rapport de sentiment et de goût, et abstraction faite des raisons de solidité, qui cependant ne laissent pas d’y confondre aussi leur impression, on peut, ce nous semble, considérer l’effet de l’emploi dont nous parlons, comme correspondant en quelque sorte, à l’emploi que fait du forte, adagio, presto, et du piano, andante, allegro, le compositeur dans l’art des sons. Evidemment des mélanges de formes, soit en contrastes plus ou moins sensibles, soit par successions plus ou moins rapides, produisent par l’entremise des yeux, sur notre esprit, un effet


assez semblable à la succession des accens graves ou aigus, des sons lents ou vifs, des modulations sévères ou légères, qui, en frappant diversement l’organe de l’oreille, font passer notre ame, par un mouvement instinctif, dans des positions plus ou moins pénibles ou agréables.

Rien ne peut empêcher qu’un péristyle de colonnes massives, séparées entr’elles par des entre-colonnemens serrés, ne comporte et ne produise l’idée de sévérité, de gravité, et une sorte d’impression sérieuse. Rien ne peut empêcher au contraire que l’aspect d’un péristyle dont les colonnes sont élégamment fuselées et d’une proportion élancée avec des entre-colonnemens spacieux, ne tende à porter machinalement notre esprit vers l’idée correspondante aux sensations que nous recevrions d’une musique molle et diffuse.

Tous les arts sont appelés à produire les mêmes genres d’impressions sur nos sens, et par eux sur notre ame. Ces impressions sont réellement de même nature, leur genre est le même, c’est leur espèce qui est différente, ainsi que le mode de leur action. Or cette différence provient uniquement, soit des instrumens qu’ils emploient, soit des organes divers auxquels ils s’adressent, soit des parties de notre ame avec lesquelles ces organes sont plus particulièrement en rapport. Mais toutes ces impressions aboutissent à un centre commun, et c’est là qu’il faut aller chercher la raison de la communauté qui unit tous les arts, tant ceux dont les moyens dépendent spécialement de l’organe moral, que ceux qui ont pour intermédiaire l’organe physique.

Il y a ainsi des rapports sensibles, entre les effets des arts les plus indépendans de la matière, et entre les effets de ceux qui en emploient la réalité. Comment en seroit-il autrement, puisque les choses même les plus matérielles produisent sur notre ame des effets semblables à ceux qui résultent des pures conceptions de l’esprit ? Que l’on vous fasse entrer dans un vaste local tout tendu de noir, et peu éclairé, vous éprouverez une impression involontaire de tristesse, de mélancolie, et tout-à-fait semblable à celle que vous recevriex d’une musique, dont les accens plaintifs, les sons prolongés, les mêmes mesures toujours répétées sans changement de ton, vous accableroient de leur monotonie.

Mais n’en est-il pas de même des effets que nous font éprouver dans l’art d’écrire, un style clair, vif, serré, ou une manière de s’exprimer lente, diffuse, obscure ? Le débit même ou la déclamation, selon l’accent ou la prononciation de l’orateur, ne nous affectent-ils pas au point d’exciter et de soutenir notre attention, on d’appeler l’indifférence et l’ennui ? Le ton seul de la voix de celui qui parle, a la propriété, ou de tenir notre esprit éveillé, ou de nous endormir.