des lumières et le brillant des couleurs, y produisoient un effet impossible à décrire. D’une urne transparente placée au milieu du théâtre, sembloient partir des rayons lumineux, qui jetoient sur toute la décoration un éclat que les yeux avoient de la peine à soutenir. Servandoni eut dans ses décorations un mérite qui manque en général à beaucoup de ces ouvrages, où les décorateurs se croyant libres de tout faire, s’affranchissent souvent des liens, non-seulement du vrai, mais même du vraisemblable. Pour lui il ne se permettoit aucune élévation d’édifices, dont le plan n’auroit pas pu justifier la possibilité en exécution.
En 1731, l’Académie royale de peinture et sculpture l’admit dans son sein, comme peintre paysagiste. Son morceau de réception fut une composition fort pittoresque, où se trouvoit représenté un temple avec des ruines.
L’année suivante, Servandoni exposa son modèle du portail de Saint-Sulpice, et bientôt la première pierre en fut posée. Nous en parlerons à la fin de cet article, avec ses autres travaux d’architecture, pour ne pas interrompre la suite des entreprises décoratives, qui ont acquis à son nom une si grande célébrité.
Les décorations scéniques ne sont ordinairement qu’un accessoire aux plaisirs du théàtre, et n’y contribuent qu’en complétant l’effet du spectacle. Mais tel fut le talent de Servandoni en ce genre, et telle l’admiration du public, qu’il parvint à attirer la foule, par une espèce de spectacle, qui consistoit uniquement en décorations. En 1738 il obtint la jouissance de la salle des machines aux Tuileries, et il y donna de nombreuses représentations, non pas seulement de certaines vues d’édifices célèbres, mais de véritables drames, si l’on peut dire, où les personnages n’étoient que les accessoires, et dont l’objet principal étoit une succession de scènes destinées particulièrement à parler aux yeux. Nous avons rendu compte de quelques-unes de ces compostions ailleurs. Voyez DÉCORATION.
Dans la même année, Servandoni eut deux occasions, d’exercer d’une autre manière son rare talent pour la décoration.
La première fut la fête donnée pour la paix. Il fut chargé d’exécuter le mouument qui devoit servir au feu d’artifice. Il fit une grande construction de forme pyramidale, sur un plan carré. Un grand soubassement étoit orné de pilastres doriques, audevant desquels on voyoit des statues figurées en marbre, représentant la paix, l’abondance, et d’autres personnages allégoriques ; la masse pyramidale éloit couronnée à, son sommet par un globe plein d’artifice.
Dans la seconde fête donnée à l’occasion du mariage d’Elisabeth de France, avec don Philippe, infant d’Espagne, Servandoni surpassa tous ceux qui l’avoient précédé en ce genre, et l’opinion est
encore qu’il n’y a été surpassé" par personne. Il avoit choisi pour emplacement de ses décorations, l’espace que parcourt la Seine depuis le PontNeuf, jusqu’au Pont-Royal, heureuse situation pour faire participer au spectacle un nombre prodigieux de spectateurs. Ce fut sur les terrains qu’occupe la statue d’Henri IV, et en avant du Pont-Neuf, que fut construit le bâtiment devant servir à l’exécution du feu d’artifice. Ce bâtiment étoit un temple de forme parallélogramme, entouré de colonnes doriques de quatre pieds et demi de diamètre, et de trente-deux pieds de hauteur. Toutes les richesses de l’architecture en ornemens, en bas-reliefs, en statues, y avoient été prodiguées. Sur ce temple consacré à l’hymen, s’élevoit un attique avec une terrasse, soutenant un couronnement, qui portoit à quatre-vingts pieds l’élévation de toute cette masse. Entre le Pont-Neuf et le Pont-Royal on avoit construit, sur deux bateaux accouplés, un salon octogone. Les bateaux étoient cachés par des rochers qui sembloient sortir de l’eau. Huit escaliers conduisoient à une terrasse dont le salon accupoit presque toute la superficie. Il étoit formé par huit arcades, d’où pendoient des lustres en transparens colorés. Du milieu du salon s’élevoit une colonne isolée, avec de pareils transparens rangés par étage. L’intérieur de cette vaste pièce destiné pour la musique, étoit garni de gradins en amphithéâtre occupés par les musiciens. Louis XV et toute sa cour honorèrent cette fête de leur présence, et plus de quatre-vingt mille spectateurs purent y assister commodément.
Servandoni reprit avec encore plus d’éclat et de succès, les travaux de son spectacle de décorations. En 1740 il composa la descente d’Enée aux enfers, et il y fit exécuter sept changemens de scènes. Le sujet qu’il avoit choisi permettoit beaucoup plus de variétés et de contrastes que les précédais. Il favorisait au plus haut point les passages rapides des ténèbres à la lumière, du terrible au gracieux. L’artiste paroît avoir, dans ce spectacle, atteint la perfection, ce que l’admiration des spectateurs lui témoigna de la manière la plus incontestable.
L’énumération de toutes les inventions de Servandoni, en ce genre, alongeroit beaucoup trop cet article, sans ajouter à sa gloire. Qu’il nous suffise de citer encore les litres de plusieurs autres compositions, telles que le retour d’Ulysse à Ithaque en 1741, et l’année suivante, l’histoire de Léandre et Héro, en 1754 la forêt enchantée du Tasse, en 1755 et années suivantes, l’histoire d’Alceste, la conquête du Mogol par Tamas-KouliKan, la chute des anges rebelles d’après Millon.
En 1755, Servandoni fut mandé à ta cour du roi de Pologne, électeur de Saxe, Il y fit les décorations de I opéra d’Aétius. Ses succès lui méritèrent, outre un présent considérable, vingt mille francs d’appointemens, avec le titre d’architecte décorateur de Sa Majesté Polonaise.