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jouer sa première tragédie avant l’âge fixé par la loi, qui défendait aux poëtes et aux acteurs, qu’on ne distinguait pas alors des poëtes, de paraître sur la scène avant 40 ans ; d’autres disent 30.

Malheureusement, Plutarque ne nomme pas la pièce qui valut à Sophocle cette première victoire sur Eschyle. On conjecture seulement que c’était une tétralogie, dont Triptolème était le drame satirique, etc. C’est Pline le naturaliste qui a mis sur la voie de cette conjecture.

Depuis ce premier succès jusqu’à sa mort, Sophocle ne cessa de travailler pour le théâtre ; il n’est donc pas étonnant qu’il ait composé un grand nombre d’ouvrages : Suidas dit 123 ; le grammairien Aristophane de Byzance dit 130, dont 17 supposés. Sept tragédies seulement nous sont parvenues en entier, mais dans ce nombre se trouvent plusieurs chefs-d’œuvre. En voici les titres : 1° Ajax armé du fouet ou Ajax furieux, 2° Électre, 3° Œdipe roi, 4° Antigone, 5° les Trachiniennes ou la Mort d’Hercule, 6° Philoctète, 7° Œdipe à Colone.

Sophocle, à cause de la faiblesse de son organe, ne se conforma pas à l’usage qui voulait que le poëte jouât lui-même le principal rôle dans ses ouvrages. Il ne parut sur la scène que dans des rôles qui exigeaient un talent particulier. Ainsi, il remplit le rôle de Thamyris jouant de la lyre, et celui de Nausicaa jouant à la paume. Il introduisit d’ailleurs plusieurs innovations dans les représentations dramatiques, il ajouta à la pompe des décorations, et porta à 15 le nombre des personnages du chœur, qui n’était que de 12. Malgré les heureux changements qu’Eschyle (voy.) avait faits à la tragédie, l’enfance de l’art se fait encore sentir dans ses pièces : Sophocle, à son tour, en modifia la forme, et la porta à sa perfection. Il fit paraître sur la scène un troisième interlocuteur, et, tout en rattachant toujours le chœur à l’action, il le réduisit à un rôle secondaire, celui d’un simple spectateur qui témoigne par ses paroles l’intérêt qu’il prend à l’événement. Cette place que le chœur conserve encore dans la tragédie grecque, cette espèce d’intervention populaire, suffirait seule pour marquer un des caractères distinctifs qui la séparent profondément de la tragédie française.

Sophocle remporta vingt fois le premier prix de la tragédie ; souvent il obtint la seconde nomination, jamais la troisième. Telle était la douceur de son caractère, dit son biographe, qu’il était chéri de tout le monde. Il était si attaché à son pays, que les offres de plusieurs rois qui l’engageaient à venir auprès d’eux ne purent jamais le décider à quitter sa patrie. Les Athéniens, pour lui donner un témoignage de leur admiration, l’élurent général, à l’âge de 57 ans, sept années avant la guerre du Péloponnèse, lors de leur expédition contre Samos. Aristophane de Byzance rapporte que cet honneur lui lut déféré après le grand succès de sa tragédie d’Antigone. Au premier abord, on ne peut se défendre d’une certaine surprise, en voyant un mérite purement littéraire récompensé par les charges les plus importantes de l’état ; on est tenté de sourire devant les bizarres caprices de cette démocratie qui payait le talent dramatique par un commandement militaire ; on a beau jeu alors à plaisanter sur le caractère frivole des Athéniens, assez riches d’ailleurs sous ce rapport pour qu’il ne soit pas besoin de charger le portrait.

Quant au fait que Sophocle fut général une fois en sa vie, il est attesté non-seulement par son biographe, mais aussi par un grand nombre d’écrivains. Plutarque, dans la Vie de Périclès, dit que Sophocle fut son collègue comme stratége ; d’autres précisent l’époque au temps de la guerre de Samos. Pour ce qui est du motif qui fit élever notre auteur tragique à ce poste important, il est assez probable que la poésie si riche, si élevée, si touchante de la pièce n’était pas le seul mérite que les Athéniens applaudissaient dans l’Antigone. On oublie trop le côté politique de la tragédie grecque, et il est à propos de remarquer avec quel soin particulier et de quel ton grave l’auteur de cette tragédie expose (v. 175-190) des règles de gouvernement, des maximes sur les devoirs du citoyen et sur l’obligation imposée au chef de l’état de sacrifier ses amitiés particulières à l’intérêt public. Démosthène dans son discours sur les prévarications