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fondé. A mesure que les masses se reconnaissent, se comptent, et opposent leur force à celle sous laquelle elles ont plié jusque là, l'abus de la force est réprimé et l'on compte avec lui : ses usurpations et ses violences appellent les représailles.

Le remède des abus c'est la réforme ou le redressement. Simple et facile dans la plupart des cas, il répugne malheureusement à ceux qui tiennent le pouvoir, et plus encore à ceux qui les environnent, qui interceptent la vérité, cherchant un passage jusqu'au trône. Les abus, c'est la curée des cours ; aussi n'y parlez point de réformes. Et pourtant on se roidit vainement contre l'exigence du temps et de la raison publique : éconduite une première fois, la réforme ne perd point courage ; elle frappe de nouveau à la porte des puissans, elle élève la voix et demande à être entendue, elle s'impatiente d'attendre, elle s'indigne des refus. Malheur à ceux qui ne lui prêtent point l'oreille, qui repoussent sa salutaire intervention ! douce et conciliante d'abord, elle devient de plus en plus impérieuse, elle proteste contre de nouveaux ajournemens ; et la violence lui parait permise lorsque la persuasion a été en vain essayée par elle. Elle éclate alors comme un nuage où la matière électrique, amassée de toutes parts, ne peut plus se contenir et se décharge violemment : elle sème les ruines, elle bouleverse, elle détruit. Pendant des siècles la chrétienté avait demandé avec réserve, avec respect, des améliorations nécessaires : les refus des souverains pontifes fatiguèrent sa patience ; elle insista enfin, elle devint exigeante, et fit entendre des menaces. Tous les jours la réforme quant au chef et quant aux membres fut provoquée ; mais le Vatican ne répondit que par des anathèmes et par des interdictions. Alors un ordre nouveau se fit jour : le bûcher de Huss et de Jérôme de Prague n'effraya point l'audacieux Luther ; et bientôt Calvin, Zwingli, Bucer, d'autres réformateurs, sapèrent, à l'exemple du moine augustin, l'édifice vermoulu de l'autorité romaine. Restaient les désordres, l'arbitraire, la dilapidation du pouvoir séculier, l'ab-


solutisme des rois, l'anéantissement des peuples. Les philosophes du XVIIIe siècle à leur tour ne ménagèrent pas les avis : la raison revêtit toutes les formes pour obtenir audience ; l'austérité et la plaisanterie, l'ironie amère et la douce persuasion, la philosophie et le sens commun, lui servirent également de moyens. Turgot et Necker mirent la main à l'œuvre, et les réformes eurent pour elles la voix puissante des parlemens. Mais les courtisans, dans leur tendresse pour les abus qui les engraissaient, résistèrent aux plus sages mesures, et réussirent à faire traiter d'hostilités et de révolte les doléances les plus timides, les réclamations les plus modérées, les avertissemens les plus bienveillans. On sait ce qui en résulta : une terrible révolution, pulvérisant l'ancien état des choses, couvrit le sol de la France et celui de plusieurs autres pays de l'Europe de débris et de ruines. Plus sage en ce moment, et profitant de cette sanglante leçon comme de celle qu'elle s'est donnée à elle-même il y a un siècle et demi, l'Angleterre a reconnu que les inégalités féodales, pour être consacrées chez elle par la tradition et l'habitude, n'en étaient pas moins des abus, et des abus quelquefois effroyables : elle admet le souffle vivifiant de la réforme, heureuse d'échapper à ce prix aux ouragans des révolutions. Après avoir fait justice des lois intolérantes dont un protestantisme étroit avait frappé les catholiques et les dissidens, elle attaqua l'abus des bourgs-pourris et arracha les élections à la discrétion d'une aristocratie prépondérante. C'est maintenant le tour des dîmes, autre abus qui remonte presque au berceau de cette société ; et la malheureuse Irlande, grosse de larmes et de soupirs, attend aussi dans les palpitations le jour de sa délivrance.

L'Espagoe, ·réveillée de sa léthargie par une jeune reine éclairée et politique, imitera sans doute cet exemple ; l'Allemagne, avide d'unité et de puissance, suivra vraisemblablement à son tour une route si sage et si salutaire. Espérons qu'en Italie les conseils de notre diplomatie obtiendront à la fin les mêmes résultats : la réforme y préviendra la dé-