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UNE PAGE D’AMOUR.

chez la fruitière, si elle avait oublié d’en prendre. Même il finit par se mettre à la cuisine. D’abord, il éplucha les légumes. Plus tard, elle lui permit de hacher. Au bout de six semaines, il ne touchait point aux sauces, mais il les surveillait, la cuiller de bois à la main. Rosalie en avait fait son aide, et elle éclatait de rire parfois, quand elle le voyait, avec son pantalon rouge et son collet jaune, actionné devant le fourneau, un torchon sur le bras, comme un marmiton.

Un dimanche, Hélène se rendit à la cuisine. Ses pantoufles assourdissaient le bruit de ses pas, elle resta sur le seuil, sans que la bonne ni le soldat l’eussent entendue. Dans son coin, Zéphyrin était attablé devant une tasse de bouillon fumant. Rosalie, qui tournait le dos à la porte, lui coupait de longues mouillettes de pain.

— Va, mange, mon petit ! disait-elle. Tu marches trop, c’est ça qui te creuse… Tiens ! en as-tu assez ? en veux-tu encore ?

Et elle le couvait d’un regard tendre et inquiet. Lui, tout rond, se carrait au-dessus de la tasse, avalait une mouillette à chaque bouchée. Sa face, jaune de son, rougissait dans la vapeur qui la baignait. Il murmurait :

— Sapristi ! quel jus ! Qu’est-ce que tu mets donc là-dedans ?

— Attends, reprit-elle, si tu aimes les poireaux…

Mais, en se tournant, elle aperçut madame. Elle poussa un léger cri. Tous deux restèrent pétrifiés. Puis, Rosalie s’excusa avec un flot brusque de paroles.

— C’est ma part, madame, oh ! bien vrai… Je n’aurais pas repris du bouillon… Tenez, sur ce que j’ai de plus sacré ! Je lui ai dit : Si tu veux ma part de