Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
UNE PAGE D’AMOUR.

prendre de la farine, hacher du persil, saler et poivrer, d’un air profondément intéressé. Alors, de loin en loin, une parole lui échappait.

— Fichtre ! ça sent trop bon !

La cuisinière, en plein coup de feu, ne daignait pas répondre tout de suite. Au bout d’un long silence, elle disait à son tour :

— Vois-tu, il faut que ça mijote.

Et leurs conversations ne sortaient guère de là. Ils ne parlaient même plus du pays. Lorsqu’un souvenir leur revenait, ils se comprenaient d’un mot et riaient en dedans toute l’après-midi. Cela leur suffisait. Quand Rosalie mettait Zéphyrin à la porte, ils s’étaient joliment amusés tous les deux.

— Allons, va-t’en ! Je vais servir madame.

Elle lui rendait son shako et son sabre, le poussait devant elle, puis servait madame avec de la joie aux joues ; tandis que lui, les bras ballants, rentrait à la caserne, chatouillé à l’intérieur par cette bonne odeur de thym et de laurier qu’il emportait.

Dans les premiers temps, Hélène crut devoir les surveiller. Elle arrivait parfois à l’improviste, pour donner un ordre. Et toujours elle trouvait Zéphyrin dans son coin, entre la table et la fenêtre, près de la fontaine de grès, qui le forçait à rentrer les jambes. Dès que madame paraissait, il se levait comme au port d’arme, demeurait debout. Si madame lui adressait la parole, il ne répondait guère que par des saluts et des grognements respectueux. Peu à peu, Hélène se rassura, en voyant qu’elle ne les dérangeait jamais et qu’ils gardaient sur le visage leur tranquillité d’amoureux patients.

Même Rosalie semblait alors beaucoup plus délurée que Zéphyrin. Elle avait déjà quelques mois de