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UNE PAGE D’AMOUR.

petit soldat resta un moment immobile, la bouche fendue par son rire muet. Puis, il se retira à reculons, en remerciant et en posant son képi contre son cœur. La porte était fermée, qu’il saluait encore sur le palier.

— Maman, c’est le frère de Rosalie ? demanda Jeanne.

Hélène demeura tout embarrassée devant cette question. Elle regrettait l’autorisation qu’elle venait d’accorder, dans un mouvement de bonté subite, dont elle s’étonnait. Elle chercha quelques secondes, elle répondit :

— Non, c’est son cousin.

— Ah ! dit l’enfant gravement.

La cuisine de Rosalie donnait sur le jardin du docteur Deberle, en plein soleil. L’été, par la fenêtre, très-large, les branches des ormes entraient. C’était la pièce la plus gaie de l’appartement, toute blanche de lumière, si éclairée même que Rosalie avait dû poser un rideau de cotonnade bleue, qu’elle tirait l’après-midi. Elle ne se plaignait que de la petitesse de cette cuisine, qui s’allongeait en forme de boyau, le fourneau à droite, une table et un buffet à gauche. Mais elle avait si bien casé les ustensiles et les meubles, qu’elle s’était ménagé, près de la fenêtre, un coin libre où elle travaillait le soir. Son orgueil était de tenir les casseroles, les bouilloires, les plats dans une merveilleuse propreté. Aussi, lorsque le soleil arrivait, un resplendissement rayonnait des murs ; les cuivres jetaient des étincelles d’or, les fers battus avaient des rondeurs éclatantes de lunes d’argent ; tandis que les faïences bleues et blanches du fourneau mettaient leur note pâle dans cet incendie.

Le samedi suivant, dans la soirée, Hélène entendit