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LES ROUGON-MACQUART.

— Vous avez quitté la Beauce il y a huit jours ?

— Oui, madame.

— Et vous voilà à Paris. Vous n’en êtes pas fâché ?

— Non, madame.

Il s’enhardissait, il regardait dans la chambre, très-impressionné par les tentures de velours bleu.

— Rosalie n’est pas là, reprit Hélène ; mais elle va rentrer… Sa tante m’apprend que vous êtes son bon ami.

Le petit soldat ne répondit pas ; il baissa la tête, en riant d’un air gauche, et se remit à gratter le tapis du bout de son pied.

— Alors, vous devez l’épouser, quand vous sortirez du service ? continua la jeune femme.

— Bien sûr, dit-il en devenant très-rouge, bien sûr, c’est juré…

Et, gagné par l’air bienveillant de la dame, tournant son képi entre ses doigts, il se décida à parler.

— Oh ! il y a beau temps… Quand nous étions tout petiots, nous allions à la maraude ensemble. Nous avons joliment reçu des coups de gaule ; pour ça, c’est bien vrai… Il faut dire que les Lacour et les Pichon demeuraient dans la même traverse, côte à côte. Alors, n’est-ce pas ? la Rosalie et moi, nous avons été élevés quasiment à la même écuelle… Puis, tout son monde est mort. Sa tante Marguerite lui a donné la soupe. Mais elle, la mâtine, elle avait déjà des bras du tonnerre…

Il s’arrêta, sentant qu’il s’enflammait, et il demanda d’une voix hésitante :

— Peut-être bien qu’elle vous a conté tout ça ?

— Oui, mais dites toujours, répondit Hélène qu’il amusait.