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UNE PAGE D’AMOUR.

ne voyait même plus les tuiles. À cette heure matinale, le soleil oblique n’éclairait point les façades tournées vers le Trocadéro. Aucune fenêtre ne s’allumait. Seuls, des vitrages, sur les toits, jetaient des lueurs, de vives étincelles de mica, dans le rouge cuit des poteries environnantes. Les maisons restaient grises, d’un gris chauffé de reflets ; mais des coups de lumière trouaient les quartiers, de longues rues qui s’enfonçaient, droites devant Hélène, coupaient l’ombre de leurs raies de soleil. À gauche seulement, les buttes Montmartre et les hauteurs du Père-Lachaise bossuaient l’immense horizon plat, arrondi sans une cassure. Les détails si nets aux premiers plans, les dentelures innombrables des cheminées, les petites hachures noires des milliers de fenêtres, s’effaçaient, se chinaient de jaune et de bleu, se confondaient dans un pêle-mêle de ville sans fin, dont les faubourgs hors de la vue semblaient allonger des plages de galets, noyées d’une brume violâtre, sous la grande clarté épandue et vibrante du ciel.

Hélène, toute grave, regardait, lorsque Jeanne entra joyeusement.

— Maman, maman, vois donc !

L’enfant tenait un gros paquet de giroflées jaunes. Et elle raconta, avec des rires, qu’elle avait guetté Rosalie rentrer des provisions, pour voir dans son panier. C’était sa joie, de fouiller dans ce panier.

— Vois donc, maman ! Il y avait ça, au fond… Sens un peu, la bonne odeur !

Les fleurs fauves, tigrées de pourpre, exhalaient une senteur pénétrante, qui embaumait toute la chambre. Alors, Hélène, d’un mouvement passionné, attira Jeanne contre sa poitrine, pendant que le paquet de giroflées tombait sur ses genoux. Aimer, aimer !