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UNE PAGE D’AMOUR.

bruit qui achevèrent de lui faire perdre la tête. Il recula, éclaboussé jusqu’aux épaules.

— Ferme le robinet tout de suite ! répétait sa mère, dont un flot de sang empourprait les joues.

Alors, Jeanne, muette jusque-là, s’approcha de la fontaine avec toutes sortes de précautions, pendant que Lucien éclatait en sanglots, en face de cette eau enragée dont il avait peur et qu’il ne savait plus comment arrêter. Elle mit sa jupe entre ses jambes, allongea ses poignets nus pour ne pas mouiller ses manches, et ferma le robinet, sans recevoir une seule éclaboussure. Brusquement, le déluge cessa. Lucien, étonné, frappé de respect, rentra ses larmes et leva ses gros yeux sur la demoiselle.

— Vraiment, cet enfant me met hors de moi, reprit madame Deberle, qui redevenait toute blanche et s’allongeait comme brisée de fatigue.

Hélène crut devoir intervenir.

— Jeanne, dit-elle, prends-lui la main, jouez à vous promener.

Jeanne prit la main de Lucien, et, gravement, ils s’en allèrent par les allées, à petits pas. Elle était beaucoup plus grande que lui, il avait le bras en l’air ; mais ce jeu majestueux, qui consistait à tourner en cérémonie autour de la pelouse, semblait les absorber l’un et l’autre et donner une grande importance à leurs personnes. Jeanne, comme une vraie dame, avait les regards flottants et perdus. Lucien ne pouvait s’empêcher, par moments, de risquer un coup d’œil sur sa compagne. Ils ne se disaient pas un mot.

— Ils sont drôles, murmura madame Deberle, souriante et calmée. Il faut dire que votre Jeanne est une bien charmante enfant… Elle est d’une obéissance, d’une sagesse…