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UNE PAGE D’AMOUR.

avec lui qu’elle avait aimé, avec lui que Jeanne était morte. Mais ce compagnon de toutes ses journées gardait la sérénité de sa face géante, sans un attendrissement, témoin muet des rires et des larmes dont la Seine semblait rouler le flot. Elle l’avait, selon les heures, cru d’une férocité de monstre, d’une bonté de colosse. Aujourd’hui, elle sentait qu’elle l’ignorerait toujours, indifférent et large. Il se déroulait, il était la vie.

M. Rambaud, cependant, la toucha légèrement ; pour l’emmener. Sa bonne figure s’inquiétait. Il murmura :

— Ne te fais pas de peine.

Il savait tout, il ne trouvait que cette parole. Madame Rambaud le regarda et fut apaisée. Elle avait le visage rose de froid, les yeux clairs. Déjà elle était loin. L’existence recommençait.

— Je ne sais plus si j’ai bien fermé la grosse malle, dit-elle.

M. Rambaud promit de s’en assurer. Le train partait à midi, ils avaient le temps. On sablait les rues, leur voiture ne mettrait pas une heure. Mais, tout d’un coup, il haussa la voix.

— Je suis sûr que tu as oublié les cannes à pêche ?

— Oh ! absolument ! cria-t-elle, surprise et fâchée de son manque de mémoire. Nous aurions dû les prendre hier.

C’étaient des cannes très-commodes, dont le modèle ne se vendait pas à Marseille. Ils possédaient, près de la mer, une petite maison de campagne, où ils devaient passer l’été. M. Rambaud consulta sa montre. En allant à la gare, ils pouvaient encore acheter les