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LES ROUGON-MACQUART.

de glace, la Seine roulait des eaux terreuses, entre ses berges qui la bordaient d’hermine ; elle charriait depuis la veille, et l’on distinguait nettement, contre les piles du pont des Invalides, l’écrasement des blocs s’engouffrant sous les arches. Puis, les ponts s’échelonnaient, pareils à des dentelles blanches, de plus en plus délicates, jusqu’aux roches éclatantes de la Cité, que les tours de Notre-Dame surmontaient de leurs pics neigeux. D’autres pointes, à gauche, trouaient la plaine uniforme des quartiers. Saint-Augustin, l’Opéra, la tour Saint-Jacques étaient comme des monts où règnent les neiges éternelles ; plus près, les pavillons des Tuileries et du Louvre, reliés par les nouveaux bâtiments, dessinaient l’arête d’une chaîne aux sommets immaculés. Et c’étaient encore, à droite, les cimes blanchies des Invalides, de Saint-Sulpice, du Panthéon, ce dernier très-loin, profilant sur l’azur un palais du rêve, avec des revêtements de marbre bleuâtre. Pas une voix ne montait. Des rues se devinaient à des fentes grises, des carrefours semblaient s’être creusés dans un craquement. Par files entières, les maisons avaient disparu. Seules, les façades voisines étaient reconnaissables aux mille raies de leurs fenêtres. Les nappes de neige, ensuite, se confondaient, se perdaient en un lointain éblouissant, en un lac dont les ombres bleues prolongeaient le bleu du ciel. Paris, immense et clair, dans la vivacité de cette gelée, luisait sous le soleil d’argent.

Alors, Hélène, une dernière fois, embrassa d’un regard la ville impassible, qui, elle aussi, lui restait inconnue. Elle la retrouvait, tranquille et comme immortelle dans la neige, telle qu’elle l’avait quittée, telle qu’elle l’avait vue chaque jour pendant trois années. Paris était pour elle plein de son passé. C’était