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UNE PAGE D’AMOUR.

d’un diadème. Elle avait retrouvé son beau visage tranquille, ses yeux gris et ses dents blanches, son menton rond, un peu fort, qui lui donnait un air raisonnable et ferme. Lorsqu’elle tournait la tête, son profil prenait de nouveau une pureté grave de statue. Le sang dormait sous la pâleur reposée des joues, on la sentait rentrée dans la hauteur de son honnêteté. Deux larmes avaient roulé de ses paupières, son calme était fait de sa douleur ancienne. Et elle se tenait debout, devant le tombeau, une simple colonne, où le nom de Jeanne était suivi de deux dates, mesurant la courte existence de la petite morte de douze ans.

Autour d’elle, le cimetière étalait la blancheur de son drap, que crevaient des angles de tombes rouillées, des fers de croix pareils à des bras en deuil. Seuls, les pas d’Hélène et de M. Rambaud avaient fait un sentier dans ce coin désert. C’était une solitude sans tache, où les morts dormaient. Les allées enfonçaient les fantômes légers des arbres. Par moments, un paquet de neige tombait sans bruit d’une branche trop chargée ; et rien ne bougeait plus. À l’autre bout, un piétinement noir avait passé : on enterrait sous ce linceul. Un second convoi venait à gauche. Les bières et les cortéges filaient en silence, comme des ombres découpées, sur la pâleur d’un linge.

Hélène sortait de sa rêverie, lorsqu’elle aperçut près d’elle une mendiante qui se traînait. C’était la mère Fétu, dont la neige assourdissait les gros souliers d’homme, crevés et raccommodés avec des ficelles. Jamais elle ne l’avait vue grelotter d’une misère si noire, couverte de guenilles plus sales, engraissée encore, l’air abêti. La vieille, par les vilains temps, les fortes gelées, les pluies battantes, suivait