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UNE PAGE D’AMOUR.

— Il y a déjà beaucoup de monde, finit-elle par murmurer.

Puis, n’ayant pas reçu de réponse, elle ajouta, pour parler encore.

— Henri a dû aller en consultation à Versailles, vous l’excuserez.

Hélène, assise devant le lit, levait sur elle des yeux vides. On ne pouvait l’arracher de cette pièce. Depuis trente-six heures, elle était là, malgré les supplications de M. Rambaud et de l’abbé Jouve, qui veillaient avec elle. Les deux nuits surtout l’avaient brisée dans une agonie sans fin. Puis, il y avait eu la douleur affreuse de la dernière toilette, les souliers de soie blanche dont elle s’était obstinée à chausser elle-même les pieds de la petite morte. Elle ne bougeait plus, à bout de force, comme endormie par l’excès de son chagrin.

— Vous avez des fleurs ? bégaya-t-elle avec effort, les yeux toujours levés sur madame Deberle.

— Oui, oui, ma chère, répondit celle-ci. Ne vous tourmentez pas.

Depuis que sa fille avait rendu le dernier soupir, elle n’avait plus que cette préoccupation : des fleurs, des moissons de fleurs. À chaque nouvelle personne qu’elle voyait, elle s’inquiétait, elle semblait craindre qu’on ne trouvât jamais assez de fleurs.

— Vous avez des roses ? reprit-elle après un silence.

— Oui… Je vous assure que vous serez contente.

Elle hocha la tête, elle retomba dans son immobilité. Pourtant, les employés des Pompes funèbres attendaient sur le palier. Il fallait en finir. M. Rambaud, qui lui-même chancelait comme un homme ivre, fit un signe suppliant à Juliette, pour qu’elle l’aidât à emmener la pauvre femme. Tous deux la prirent dou-