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UNE PAGE D’AMOUR.

dernier amour. Un gros soupir la gonfla, puis elle eut encore deux soupirs plus légers. Ses yeux pâlissaient, son visage un instant exprima une angoisse vive. Mais, bientôt, elle parut soulagée, elle ne respirait plus, la bouche ouverte.

— C’est fini, dit le docteur en lui prenant la main.

Jeanne regardait Paris de ses grands yeux vides. Sa figure de chèvre s’était encore allongée, avec des traits sévères, une ombre grise descendue des sourcils qu’elle fronçait ; et elle avait ainsi dans la mort son visage blême de femme jalouse. La poupée, la tête renversée, les cheveux pendants, semblait morte comme elle.

— C’est fini, répéta le docteur qui laissa retomber la petite main froide.

Hélène, la face tendue, serra son front entre ses poings, comme si elle sentait son crâne s’ouvrir. Elle ne pleurait pas, elle promenait devant elle des regards fous. Puis, un hoquet se brisa dans sa gorge ; elle venait d’apercevoir, au pied du lit, une petite paire de souliers, oubliée là. C’était fini, Jeanne ne les mettrait jamais plus, on pouvait donner les petits souliers aux pauvres. Et ses pleurs coulaient, elle restait par terre, roulant son visage sur la main de la morte qui avait glissé. M. Rambaud sanglotait. L’abbé avait haussé la voix, tandis que Rosalie, dans la porte entre-bâillée de la salle à manger, mordait son mouchoir, pour ne pas faire trop de bruit.

Juste à cette minute, le docteur Deberle sonna. Il ne pouvait s’empêcher de monter prendre des nouvelles.

— Comment va-t-elle ? demanda-t-il.

— Ah ! monsieur, bégaya Rosalie, elle est morte.