Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
UNE PAGE D’AMOUR.

— Tu disais que tu avais faim… Tu n’aimes donc pas ça ?

— Mais si, maman. Je mange.

Jeanne faisait un effort, avalait une bouchée. Hélène la surveillait un instant, puis son souvenir retournait là-bas, dans cette chambre pleine d’ombre. Et l’enfant voyait bien qu’elle ne comptait plus. Vers la fin du repas, ses pauvres membres brisés s’étaient affaissés sur la chaise, elle ressemblait à une petite vieille, avec les yeux pâles des filles très-âgées que jamais plus personne n’aimera.

— Mademoiselle ne prend pas de la confiture ? demanda Rosalie. Alors, je puis ôter le couvert ?

Hélène restait les yeux perdus.

— Maman, j’ai sommeil, dit Jeanne, d’une voix changée ; veux-tu me permettre de me coucher ?… Je serai mieux dans mon lit.

De nouveau, sa mère parut s’éveiller en sursaut.

— Tu souffres, ma chérie ! Où souffres-tu ? parle donc !

— Mais non, quand je te dis !… J’ai sommeil, il est bien l’heure de dormir.

Elle quitta sa chaise et se redressa, pour faire croire qu’elle n’avait pas de mal. Ses petits pieds engourdis butaient sur le parquet. Dans la chambre, elle s’appuya aux meubles, elle eut le courage de ne pas pleurer, malgré le feu qui la brûlait partout. Sa mère venait la coucher ; et elle ne put que nouer ses cheveux pour la nuit, tellement l’enfant avait mis de hâte à ôter elle-même ses vêtements. Elle se glissa toute seule entre les draps, elle ferma vite les yeux.

— Tu es bien ? demandait Hélène, en remontant les couvertures et en la bordant.

— Très-bien. Laisse-moi, ne me remue pas… Emporte la lumière.