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LES ROUGON-MACQUART.

qui lui paraissait plus forte. Elle était montée au visage, elle s’étonnait de la petitesse lassée des yeux, de la rougeur fiévreuse des lèvres, de l’ombre étrange dont la face entière était noyée. Elle n’aimait pas ça, elle recommençait à avoir mal dans la poitrine, comme lorsqu’on lui faisait de la peine. Alors, énervée par l’approche de ces choses subtiles et rudes qu’elle flairait, comprenant qu’elle respirait là l’odeur de la trahison, elle éclata en sanglots.

— Non, non, je t’en prie… Oh ! tu m’as laissée seule, oh ! j’ai été trop malheureuse…

— Mais puisque je suis rentrée, ma chérie… Ne pleure pas, je suis rentrée.

— Non, non, c’est fini… Je ne te veux plus… Oh ! j’ai attendu, j’ai attendu, j’ai trop de mal.

Hélène l’avait reprise et l’attirait doucement, tandis que l’enfant s’entêtait, répétant :

— Non, non, ce n’est plus la même chose, tu n’es plus la même.

— Comment ? Qu’est-ce que tu dis là, mon enfant ?

— Je ne sais pas, tu n’es plus la même.

— Tu veux dire que je ne t’aime plus ?

— Je ne sais pas, tu n’es plus la même… Ne dis pas non… Tu ne sens plus la même chose. C’est fini, fini, fini. Je veux mourir.

Toute pâle, Hélène la tenait de nouveau dans ses bras. Ça se voyait donc sur son visage ? Elle la baisa, mais la petite frissonnait, d’un air de si profond malaise, qu’elle ne lui mit pas au front un second baiser. Elle la garda pourtant. Ni l’une ni l’autre ne parlait plus. Jeanne pleurait tout bas, dans la révolte nerveuse qui la raidissait. Hélène songeait qu’il ne fallait pas donner d’importance aux caprices des enfants. Au fond, elle avait une sourde honte, le poids de sa fille