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LES ROUGON-MACQUART.

de toutes parts, le ciel s’ouvrait, la rive droite à trois reprises parut engloutie. Une première ondée ravagea les faubourgs lointains, s’élargissant, battant les pointes de Saint-Vincent-de-Paul et de la tour Saint-Jacques qui blanchissaient sous le flot. Deux autres, coup sur coup, ruisselèrent sur Montmartre et sur les Champs-Élysées. Par instants, on distinguait les verrières du palais de l’industrie fumant dans le rejaillissement de la pluie, Saint-Augustin dont la coupole roulait au fond d’un brouillard comme une lune éteinte, la Madeleine qui allongeait sa toiture plate, pareille aux dalles lavées à grande eau de quelque parvis en ruine ; pendant que, en arrière, la masse énorme et sombrée de l’Opéra faisait penser à un vaisseau démâté, la carène prise entre deux rocs, résistante aux assauts de la tempête. Sur la rive gauche, que voilait une poussière d’eau, on apercevait le dôme des Invalides, les flèches de Sainte-Clotilde, les tours de Saint-Sulpice mollissant, se fondant dans l’air trempé d’humidité. Un nuage s’élargit, la colonnade du Panthéon lâcha des nappes qui menaçaient d’inonder les quartiers bas. Et, dès ce moment, les coups de pluie frappèrent la ville à toutes places ; on eût dit que le ciel se jetait sur la terre ; des rues s’abîmaient, coulant à fond et surnageant, dans des secousses dont la violence semblait annoncer la fin de la cité. Un grondement continu montait, la voix des ruisseaux grossis, le tonnerre des eaux se vidant aux égouts. Cependant, au-dessus de Paris boueux, que ces giboulées salissaient du même ton jaune, les nuages s’effrangeaient, devenaient d’une pâleur livide, également épandue, sans une fissure ni une tache. La pluie s’amincissait, raide et pointue ; et quand une rafale soufflait encore, de grandes ondes moiraient les hachures grises, on en-