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LES ROUGON-MACQUART.

par terre. Cela lui revenait dans une angoisse, la douleur de cette brutalité la reprenait aux poignets et aux épaules. Pourquoi l’avait-on battue ? Elle était gentille, elle n’avait rien à se reprocher. On lui parlait si doucement d’ordinaire, cette correction la révoltait. Elle éprouvait cette sensation de ses peurs d’enfant, lorsqu’on la menaçait du loup et qu’elle regardait, sans l’apercevoir ; c’était dans l’ombre comme des choses qui allaient l’écraser. Pourtant, elle se doutait, la face blêmie, peu à peu gonflée d’une colère jalouse. Tout d’un coup, la pensée que sa mère devait aimer plus qu’elle les gens où elle avait couru, en la bousculant si fort, lui fit porter les deux mains à sa poitrine. Elle savait à présent. Sa mère la trahissait.

Sur Paris, une grande anxiété s’était faite, dans l’attente d’une nouvelle bourrasque. L’air obscurci avait un murmure, d’épais nuages planaient. Jeanne, à la fenêtre, toussa violemment ; mais elle se sentait comme vengée d’avoir froid, elle aurait voulu prendre du mal. Les mains contre la poitrine, elle sentait là grandir son malaise. C’était une angoisse, dans laquelle son corps s’abandonnait. Elle tremblait de peur, et n’osait plus se retourner, toute froide à l’idée de regarder encore dans la chambre. Quand on est petite, on n’a pas de force. Qu’était-ce donc, ce mal nouveau, dont la crise l’emplissait de honte et d’amère douceur ? Lorsqu’on la taquinait, qu’on la chatouillait malgré ses rires, elle avait eu parfois ce frisson exaspéré. Toute raidie, elle attendait dans une révolte de ses membres innocents et vierges. Et, du fond de son être, de son sexe de femme éveillé, une vive douleur jaillit comme un coup reçu de loin. Alors, défaillante, elle poussa un cri étouffé : « Maman ! maman ! » sans qu’on pût savoir si elle appelait sa mère