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UNE PAGE D’AMOUR.

entre ses bras, la serra bien fort, tandis que la tête se balançait en arrière, le cou cassé. Et elle lui parlait, elle était la plus sage, elle avait bon cœur, jamais elle ne sortait et ne la laissait toute seule. C’était son trésor, son petit chat, son cher petit cœur. Toute frémissante, se retenant pour ne pas pleurer encore, elle la couvrit de baisers.

Cette furie de caresses la vengeait un peu, la poupée retomba sur son bras comme une loque. Elle s’était levée, elle regardait dehors, le front appuyé contre une vitre. La pluie avait cessé, les nuages de la dernière averse, emportés par un coup de vent, roulaient à l’horizon, vers les hauteurs du Père-Lachaise que noyaient des hachures grises ; et Paris, sur ce fond d’orage, éclairé d’une lumière uniforme, prenait une grandeur solitaire et triste. Il semblait dépeuplé, pareil à ces villes des cauchemars que l’on aperçoit dans un reflet d’astre mort. Bien sûr, ce n’était guère joli. Vaguement, elle songeait aux gens qu’elle avait aimés, depuis qu’elle était au monde. Son bon ami le plus ancien, à Marseille, était un gros chat rouge, qui pesait très-lourd ; elle le prenait sous le ventre en serrant ses petits bras, elle le portait comme ça d’une chaise à une autre, sans qu’il se mît en colère ; puis, il avait disparu, c’était la première méchanceté dont elle se souvînt. Ensuite, elle avait eu un moineau ; celui-là était mort, elle l’avait ramassé un matin par terre, dans la cage ; ça faisait deux. Elle ne comptait pas ses joujoux qui se cassaient pour lui causer du chagrin, toutes sortes d’injustices dont elle souffrait beaucoup, parce qu’elle était trop bête. Une poupée surtout, pas plus haute que la main, l’avait désespérée en se laissant écraser la tête ; même elle la chérissait tant, qu’elle l’avait enterrée en cachette,