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UNE PAGE D’AMOUR.

cements, si le jeune homme s’était montré brutal, elle aurait infailliblement succombé. Il eut la fatuité de vouloir vaincre par son esprit, il la laissa s’habituer au jeu de coquette qu’elle jouait. Aussi, dès sa première violence, une nuit qu’ils regardaient la mer ensemble, comme des amants d’opéra-comique, l’avait-elle chassé, étonnée, irritée de ce qu’il dérangeait ce roman dont elle s’amusait. À Paris, Malignon s’était juré d’être plus habile. Il venait de la reprendre dans une période d’ennui, à la fin d’un hiver fatigant, lorsque les plaisirs connus, les dîners, les bals, les premières représentations, commençaient à la désoler par leur monotonie. L’idée d’un appartement meublé tout exprès dans un quartier perdu, le mystère d’un pareil rendez-vous, la pointe d’odeur suspecte qu’elle flairait, l’avaient séduite. Cela lui semblait original, il fallait bien tout voir. Et elle avait, au fond d’elle, un si beau calme, qu’elle n’était guère plus troublée chez Malignon que chez les peintres où elle montait quêter des toiles pour ses ventes de charité.

— Juliette, Juliette, répétait le jeune homme, en cherchant des inflexions de voix caressantes.

— Allons, soyez raisonnable, dit-elle simplement.

Et elle prit un écran chinois sur la cheminée, elle continua, très à l’aise, comme si elle se trouvait dans son propre salon :

— Vous savez que nous avons répété ce matin… Je crains bien de n’avoir pas eu la main heureuse en choisissant madame Berthier. Elle fait une Mathilde pleurnicheuse, insupportable… Ce monologue si joli, quand elle s’adresse à la bourse : « Pauvre petite, je te baisais tout à l’heure… » eh bien ! elle