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LES ROUGON-MACQUART.

— Je l’ai payée quatre-vingt-dix francs, finit par crier Malignon, impatienté.

Alors, elle parut enchantée de l’avoir mis en colère. Il s’était calmé, il lui demanda sournoisement :

— Vous ne retirez pas votre manteau ?

— Si, répondit-elle ; il fait une chaleur chez vous !

Elle ôta même son chapeau, qu’il alla porter avec la fourrure sur le lit. Quand il revint, il la trouva assise devant le feu, regardant encore autour d’elle. Elle était redevenue sérieuse ; elle consentit à se montrer conciliante.

— C’est très-laid, mais vous n’êtes tout de même pas mal. Les deux pièces auraient pu être très-bien.

— Oh ! pour ce que je veux en faire ! laissa-t-il échapper, avec un geste d’insouciance.

Il regretta tout de suite cette parole stupide. On ne pouvait pas être plus grossier ni plus maladroit. Elle avait baissé la tête, reprise d’une gêne douloureuse à la gorge. Pendant un instant, elle venait d’oublier pourquoi elle était là. Il voulut au moins profiter de l’embarras où il l’avait mise.

— Juliette, murmura-t-il en se penchant vers elle.

Elle le fit asseoir d’un geste. C’était aux bains de mer, à Trouville, que Malignon, ennuyé par la vue de l’Océan, avait eu la belle idée de tomber amoureux. Depuis trois années déjà, ils vivaient dans une familiarité querelleuse. Un soir, il lui prit la main. Elle ne se fâcha pas, plaisanta d’abord. Puis, la tête vide, le cœur libre, elle s’imagina qu’elle l’aimait. Jusqu’à ce jour, elle avait à peu près fait tout ce que faisaient ses amies, autour d’elle ; mais une passion lui manquait, la curiosité et le besoin d’être comme les autres la poussèrent. Dans les commen-