Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
LES ROUGON-MACQUART.

avec un sursaut de tout son corps. Il était bien deux heures trente-cinq, et les aiguilles marchaient. Elle balbutia, elle dit que le docteur devait être parti pour ses visites. Ses regards ne quittaient plus la pendule. Cependant, M. Rambaud, son chapeau à la main, la tenait debout, recommençait son histoire. Ces pauvres gens avaient tout vendu, jusqu’à leur poêle ; depuis le commencement de l’hiver, ils passaient les jours et les nuits sans feu. À la fin de décembre, ils étaient restés quatre jours sans manger. Hélène eut une exclamation douloureuse. Les aiguilles marquaient trois heures moins vingt. M. Rambaud mit encore deux grandes minutes à partir.

— Eh bien ! je compte sur vous, dit-il.

Et, se penchant pour embrasser Jeanne.

— Au revoir, ma chérie.

— Au revoir… Sois tranquille, maman n’oubliera pas, je lui ferai souvenir.

Lorsque Hélène revint dans l’antichambre, où elle avait accompagné M. Rambaud, l’aiguille était aux trois quarts. Dans un quart d’heure, tout serait fini. Immobile devant la cheminée, elle eut la brusque vision de la scène qui allait se passer : Juliette se trouvait déjà là, Henri entrait et la surprenait. Elle connaissait la chambre, elle percevait les moindres détails avec une netteté effrayante. Alors, secouée encore par l’histoire lamentable de M. Rambaud, elle sentit un grand frisson qui lui montait des membres à la face. Et un cri éclatait en elle. C’était une infamie, ce qu’elle avait fait, cette lettre écrite, cette dénonciation lâche. Cela lui apparaissait tout d’un coup ainsi, dans une lueur aveuglante. Vraiment, elle avait commis une infâmie pareille ! Et elle se rappelait le geste dont elle avait jeté la lettre dans la boîte, avec