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LES ROUGON-MACQUART.

rôle de madame de Léry, attendait dans un fauteuil le moment de faire son entrée. Ces dames, en petite toilette du matin, n’avaient retiré ni leurs chapeaux ni leurs gants. Et, devant elles, tenant à la main le volume de Musset, Juliette, ébouriffée, enveloppée dans un grand peignoir de cachemire blanc, prenait des airs convaincus de régisseur qui indique aux artistes des inflexions de voix et des jeux de scène. Comme le jour était très-bas, les petits rideaux de tulle brodé, relevés et croisés sur le bouton de l’espagnolette, laissaient voir le jardin, qui s’enfonçait, noir d’humidité.

— Vous n’êtes pas assez émue, déclarait Juliette. Mettez plus d’intention, chaque mot doit porter. « Nous allons donc, ma chère petite bourse, vous faire votre dernière toilette… » Recommencez.

— Je serai très-mauvaise, dit languissamment madame Berthier. Pourquoi ne jouez-vous pas ça à ma place ? Vous feriez une Mathilde délicieuse.

— Oh ! moi, non… Il faut une blonde d’abord. Ensuite, je suis un très-bon professeur, mais je n’exécute pas… Travaillons, travaillons.

Hélène restait dans son coin. Madame Berthier, tout à son rôle, ne s’était pas même tournée. Madame de Guiraud lui avait adressé un léger signe de tête. Et elle sentait qu’elle était de trop, qu’elle aurait dû refuser de s’asseoir. Ce qui la retenait, ce n’était plus tant la pensée d’un devoir à accomplir, qu’un singulier sentiment, profond et confus, qu’elle avait parfois éprouvé là. Elle souffrait de la façon indifférente dont Juliette la recevait. Il y avait, chez celle-ci, de continuels caprices d’amitié ; elle adorait les gens pendant trois mois, se jetait à leur cou, ne semblait vivre que pour eux ; puis, un matin, sans dire pourquoi, elle ne