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UNE PAGE D’AMOUR.

mit à genoux devant l’enfant, avec un grand bruit de jupes.

— Laisse-le, laisse-le, dit Juliette. Viens ici, Lucien ; viens dire bonjour à cette demoiselle.

Le petit garçon s’avança, embarrassé. Il avait au plus sept ans, gros et court, mis avec une coquetterie de poupée. Quand il vit que tout le monde le regardait en souriant, il s’arrêta ; et, de ses yeux bleus étonnés, il examinait Jeanne.

— Allons, murmura sa mère.

Il la consulta d’un coup d’œil, fit encore un pas. Il montrait cette lourdeur des garçons, le cou dans les épaules, les lèvres fortes et boudeuses, avec des sourcils sournois, légèrement froncés. Jeanne devait l’intimider, parce qu’elle était sérieuse, pâle et tout en noir.

— Mon enfant, il faut être aimable, toi aussi, dit Hélène, en voyant l’attitude raidie de sa fille.

La petite n’avait point lâché le poignet de sa mère ; et elle promenait ses doigts sur la peau, entre la manche et le gant. La tête basse, elle attendait Lucien de l’air inquiet d’une fille sauvage et nerveuse, prête à se sauver, devant une caresse. Cependant, lorsque sa mère la poussa doucement, elle fit à son tour un pas.

— Mademoiselle, il faudra que vous l’embrassiez, reprit en riant madame Deberle. Les dames doivent toujours commencer avec lui… Oh ! la grosse bête !

— Embrasse-le, Jeanne, dit Hélène.

L’enfant leva les yeux sur sa mère ; puis, comme gagnée par l’air bêta du petit garçon, prise d’un attendrissement subit devant sa bonne figure embarrassée, elle eut un sourire adorable. Son visage s’éclairait sous le flot brusque d’une grande passion intérieure.

— Volontiers, maman, murmura-t-elle.