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UNE PAGE D’AMOUR.

madame ? Moi, j’en ai eu trois, depuis l’été dernier…

Elle continuait ses révérences devant le guéridon, qui représentait sans doute la dame chez laquelle elle était en visite. Puis, elle approchait des siéges, soutenait une conversation générale qui durait une heure, avec une abondance de phrases vraiment extraordinaire.

— Ne fais pas la bête, Jeanne, disait sa mère de loin en loin, lorsque le bruit l’impatientait.

— Mais, maman, je suis chez mon amie… Elle me parle, il faut bien que je lui réponde… N’est-ce pas que, lorsqu’on sert du thé, on ne met pas des gâteaux dans ses poches ?

Et elle repartait :

— Adieu, madame. Il était délicieux, votre thé… Bien des choses à monsieur votre mari…

Tout d’un coup, ce fut autre chose. Elle sortait en voiture, elle allait faire des emplettes, à califourchon sur une chaise, comme un garçon.

— Jean, pas si vite, j’ai peur… Arrêtez-moi donc ! nous sommes devant la modiste… Mademoiselle combien ce chapeau ? Trois cents francs, ce n’est pas cher. Mais il n’est pas joli. Je voudrais un oiseau dessus, un oiseau gros comme ça… Allons, Jean, conduisez-moi chez l’épicier. Vous n’avez pas du miel ? Si, madame, en voilà. Oh ! qu’il est bon ! Je n’en veux pas ; donnez-moi deux sous de sucre… Mais, faites donc attention, Jean ! Voilà que la voiture a versé ! Monsieur le sergent de ville, c’est la charrette qui s’est jetée sur nous… Vous n’avez pas de mal, madame ? Non, monsieur, pas du tout… Jean, Jean ! nous rentrons. Hope là ! hope là ! Attendez, je vais commander des chemises. Trois douzaines de chemises pour madame… Il me faut aussi des bottines et