Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
LES ROUGON-MACQUART.

Elle pensait que la journée serait terriblement longue. Qu’allait-elle faire, en attendant la nuit ? Depuis quelque temps, elle ne touchait plus à une aiguille, le travail lui semblait d’un poids énorme. Pendant des heures, elle restait assise, les mains abandonnées, étouffant dans sa chambre, ayant le besoin de sortir pour respirer, et ne bougeant pas. C’était cette chambre qui la rendait malade ; elle la détestait, irritée des deux années qu’elle y avait vécues ; elle la trouvait odieuse avec son velours bleu, son immense horizon de grande ville, et rêvait un petit appartement dans le tapage d’une rue, qui l’aurait étourdie. Mon Dieu ! comme les heures étaient lentes ! Elle prit un livre, mais l’idée fixe qui battait dans sa tête levait continuellement les mêmes images entre ses yeux et la page commencée.

Cependant, Rosalie avait fait la chambre, Jeanne était coiffée et habillée. Alors, au milieu des meubles rangés, tandis que sa mère, devant la fenêtre, s’efforçait de lire, l’enfant, qui était dans un de ses jours de gaieté bruyante, commença une grande partie. Elle était toute seule ; mais cela ne l’embarrassait guère, elle faisait très-bien trois et quatre personnes, avec une conviction et une gravité fort drôles. D’abord, elle joua à la dame qui va en visite. Elle disparaissait dans la salle à manger ; puis, elle rentrait en saluant, en souriant, en tournant la tête d’une façon coquette.

— Bonjour, madame… Comment allez-vous, madame ?… Il y a si longtemps qu’on ne vous a vue. C’est un miracle, vraiment… Mon Dieu ! j’ai été souffrante, madame. Oui, j’ai eu le choléra, c’est très-désagréable… Oh ! ça ne paraît pas du tout, vous rajeunissez, ma parole d’honneur. Et vos enfants,