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LES ROUGON-MACQUART.

— Vous savez, messieurs, on va jouer, dit-elle, avec sa tranquille hardiesse de vierge, dans sa robe de reine. On vous prie de vous taire.

Elle parlait très-haut, elle avait la voix perçante. Et comme elle resta là, avec les hommes, à rire et à plaisanter, le bruit devint beaucoup plus fort. La discussion continuait, elle donnait des arguments. Dans le salon, madame Deberle était au supplice. D’ailleurs, on avait assez de musique, on resta froid. La pianiste se rassit, les lèvres pincées, malgré les compliments exagérés que la maîtresse de maison crut devoir lui adresser.

Hélène souffrait. Henri ne semblait pas la voir. Il ne s’était plus approché d’elle. Par moments, il lui souriait de loin. Au commencement de la soirée, elle avait éprouvé un soulagement à le trouver si raisonnable. Mais, depuis qu’elle connaissait l’histoire des deux autres, elle aurait souhaité quelque chose, elle ne savait quoi, une marque de tendresse, quitte même à être compromise. Un désir l’agitait, confus, mêlé à toutes sortes de sentiments mauvais. Est-ce qu’il ne l’aimait plus, pour rester si indifférent ? Certes, il choisissait son heure. Ah ! si elle avait pu tout lui dire, lui apprendre l’indignité de cette femme qui portait son nom ! Alors, tandis que le piano égrenait de petites gammes vives, un rêve la berçait : Henri avait chassé Juliette, et elle était avec lui comme sa femme, dans des pays lointains dont ils ignoraient la langue.

Une voix la fit tressaillir.

— Vous ne prenez donc rien ? demandait Pauline.

Le salon était vide. On venait de passer dans la salle à manger, pour le thé. Hélène se leva péniblement. Tout se brouillait dans sa tête. Elle pensait qu’elle avait rêvé cela, les paroles entendues, la chute pro-