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UNE PAGE D’AMOUR.

— Oh ! la belle tête ! laissa-t-elle échapper, pendant une phrase étouffée de l’accompagnement, et si haut, que tout le salon l’entendit.

La soirée s’avançait, une lassitude noyait les figures. Des dames, assises depuis trois heures sur le même fauteuil, avaient un air d’ennui inconscient, heureuses pourtant de s’ennuyer là. Entre deux morceaux, écoutés d’une oreille, les causeries reprenaient, et il semblait que ce fût la sonorité vide du piano qui continuât. M. Letellier racontait qu’il était allé surveiller une commande de soie à Lyon ; les eaux de la Saône ne se mélangeaient pas aux eaux du Rhône, cela l’avait beaucoup frappé. M. de Guiraud, un magistrat, laissait tomber des phrases sentencieuses sur la nécessité d’endiguer le vice à Paris. On entourait un monsieur qui connaissait un Chinois, et qui donnait des détails. Deux dames, dans un coin, échangeaient des confidences sur leurs domestiques. Cependant, dans le groupe de femmes où trônait Malignon, on causait littérature : madame Tissot déclarait Balzac illisible ; il ne disait pas non, seulement il faisait remarquer que Balzac avait, de loin en loin, une page bien écrite.

— Un peu de silence ! cria Pauline. Elle va jouer.

C’était la pianiste, la dame qui avait un si beau talent. Toutes les têtes se tournèrent par politesse. Mais, au milieu du recueillement, on entendit de grosses voix d’homme discutant dans le petit salon. Madame Deberle parut désespérée. Elle se donnait un mal infini.

— Ils sont assommants, murmura-t-elle. Qu’ils restent là-bas, puisqu’ils ne veulent pas venir ; mais, au moins, qu’ils se taisent !

Et elle envoya Pauline qui, enchantée, courut faire la commission.