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LES ROUGON-MACQUART.

pour lui une commisération qui le rapetissait un peu, en même temps qu’elle l’aimait davantage, d’une tendresse où il entrait une vague idée de protection. Son sentiment, très-confus encore, était qu’elle devait à cette heure compenser autour de lui le bonheur perdu.

— Ah bien ! murmurait mademoiselle Aurélie, cela va être gai, si la sœur de madame de Guiraud chante… C’est la dixième fois que j’entends les Tourterelles. Elle n’a que ça, cet hiver… Vous savez qu’elle est séparée de son mari. Regardez ce monsieur brun, là-bas, près de la porte. Ils sont au mieux. Juliette est bien forcée de le recevoir, sans cela elle ne viendrait pas…

— Ah ! dit Hélène.

Madame Deberle, vivement, allait de groupe en groupe, priant qu’on fît silence pour écouter la sœur de madame de Guiraud. Le salon s’était empli, une trentaine de dames en occupaient le milieu, assises, chuchotant et riant ; deux, cependant, restaient debout, causant plus haut, avec de jolis mouvements d’épaules ; tandis que cinq ou six hommes, très à l’aise, semblaient là chez eux, comme perdus sous les jupes. Quelques chut ! discrets coururent, le bruit des voix tomba, les visages prirent une expression immobile et ennuyée ; et il n’y eut plus que le battement des éventails, dans l’air chaud.

La sœur de madame de Guiraud chantait, mais Hélène n’écoutait pas. Maintenant, elle regardait Malignon qui semblait goûter les Tourterelles, en affectant un amour immodéré de la musique. Était-ce possible ! ce garçon-là ! Sans doute, c’était à Trouville qu’ils avaient joué quelque jeu dangereux. Les paroles surprises par Hélène, semblaient indiquer que