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UNE PAGE D’AMOUR.

longues rues du quartier Saint-Germain espaçaient des clartés tristes ; au delà, les quartiers populeux braisillaient, allumés de petits feux serrés, luisant dans une confusion de nébuleuse. C’était, jusqu’aux faubourgs, et tout autour de l’horizon, une fourmilière de becs de gaz et de fenêtres éclairées, comme une poussière qui emplissait les lointains de la ville de ces myriades de soleils, de ces atomes planétaires que l’œil humain ne peut découvrir. Les édifices avaient sombré, pas un falot n’était attaché à leur mâture. Par moments, on aurait pu croire à quelque fête géante, à un monument cyclopéen illuminé, avec ses escaliers, ses rampes, ses fenêtres, ses frontons, ses terrasses, son monde de pierre, dont les lignes de lampions traceraient en traits phosphorescents l’étrange et énorme architecture. Mais la sensation qui revenait était celle d’une naissance de constellations, d’un agrandissement continu du ciel.

Hélène, en suivant le geste large du prêtre, avait promené sur Paris allumé un long regard. Là aussi, elle ignorait le nom des étoiles. Volontiers, elle aurait demandé quelle était cette lueur vive, là-bas, à gauche, qu’elle regardait tous les soirs. D’autres l’intéressaient. Il y en avait qu’elle aimait, tandis que certaines la laissaient inquiète et fâchée.

— Mon père, dit-elle, employant pour la première fois ce nom de tendresse et de respect, laissez-moi vivre… C’est la beauté de cette nuit qui m’agite… Vous vous êtes trompé, vous ne sauriez à cette heure me donner de consolation, car vous ne pouvez m’entendre.

Le prêtre ouvrit les bras, puis les laissa retomber avec une lenteur résignée. Et après un silence il parla à voix basse.