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LES ROUGON-MACQUART.

de l’infini, comme si la terre eût disparu et qu’on eût aperçu de tous côtés la rondeur céleste. Et elle retrouvait là l’émotion qui l’avait brisée quelques minutes auparavant, lorsque le Chariot s’était mis lentement à tourner autour de l’axe du pôle, le brancard en l’air. Paris, qui s’allumait, s’étendait, mélancolique et profond, apportant les songeries terrifiantes d’un firmament où pullulent les mondes.

Cependant, le prêtre, de cette voix monotone et douce que lui donnait l’habitude du confessionnal, chuchotait longuement à son oreille. Il l’avait avertie un soir, il lui avait bien dit que la solitude ne lui valait rien. On ne se mettait pas impunément en dehors de la vie commune. Elle s’était trop cloîtrée, elle avait ouvert la porte aux rêveries dangereuses.

— Je suis bien vieux, ma fille, murmura-t-il, j’ai vu souvent des femmes qui venaient à nous, avec des larmes, des prières, un besoin de croire et de s’agenouiller… Aussi ne puis-je guère me tromper aujourd’hui. Ces femmes, qui semblent chercher Dieu si ardemment, ne sont que de pauvres cœurs troublés par la passion. C’est un homme qu’elles adorent dans nos églises…

Elle ne l’écoutait pas, au comble de l’agitation, dans l’effort qu’elle faisait pour voir enfin clair en elle. L’aveu lui échappa, bas, étranglé.

— Eh bien ! oui, j’aime… Et c’est tout. Ensuite, je ne sais plus, je ne sais plus…

Maintenant, il évitait de l’interrompre. Elle parla dans la fièvre, par petites phrases courtes ; et elle prenait une joie amère à confesser son amour, à partager avec ce vieillard son secret qui l’étouffait depuis si longtemps.

— Je vous jure que je ne puis lire en moi… Cela