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UNE PAGE D’AMOUR.

plète également épandue ; un aveuglement de ténèbres. La voix haute et prolongée avait pris une douceur plus tendre.

— Vous pleurez ? demanda l’abbé, qui venait d’entendre un sanglot.

— Oui, répondit simplement Hélène.

Ils ne se voyaient point. Elle pleurait longuement, avec un murmure de tout son être. Cependant, derrière eux, Jeanne mettait le calme innocent de son sommeil, tandis que M. Rambaud, absorbé, inclinait sa tête grisonnante au-dessus de la poupée, dont il avait démonté les membres. Mais lui, par moments, laissait échapper des bruits secs de ressorts qui se détendaient, des bégaiements d’enfant que ses gros doigts tiraient le plus doucement possible du mécanisme détraqué. Et quand la poupée avait parlé trop fort, il s’arrêtait net, inquiet et fâché, regardant s’il ne venait pas de réveiller Jeanne. Puis, il se remettait à son raccommodage avec précaution, n’ayant pour outils qu’une paire de ciseaux et un poinçon.

— Pourquoi pleurez-vous, ma fille ? reprit l’abbé. Ne puis-je donc vous apporter aucun soulagement ?

— Ah ! laissez, murmura Hélène ; ces larmes me font du bien… Tout à l’heure, tout à l’heure…

Elle étouffait trop pour répondre. Une première fois, à cette même place, une crise de pleurs l’avait brisée ; mais elle était seule, elle avait pu sangloter dans les ténèbres, défaillante, attendant que la source de l’émotion qui la gonflait se fût tarie. Pourtant, elle ne se connaissait aucun chagrin : sa fille était sauvée, elle-même avait repris le train monotone et charmant de son existence. C’était brusquement en elle comme le sentiment poignant d’une immense douleur, d’un vide insondable qu’elle ne comblerait jamais, d’un