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LES ROUGON-MACQUART.

lant et marchant, dont il lui avait fait cadeau, et qu’elle avait cassée ; il excellait dans ces sortes de travaux. Hélène, manquant d’air, souffrant de ces dernières chaleurs de septembre, venait d’ouvrir la fenêtre toute grande, soulagée par cette mer d’ombre, cette immensité noire qui s’étendait devant elle. Elle avait poussé un fauteuil pour s’isoler, elle fut surprise d’entendre le prêtre. Il continua doucement :

— Avez-vous bien couvert la petite ?… L’air est toujours vif, à cette hauteur.

Mais elle cédait à un besoin de silence, elle ne répondit pas. Elle goûtait le charme du crépuscule, l’effacement dernier des choses, l’assoupissement des bruits. Une lueur de veilleuse brûlait à la pointe des flèches et des tours ; Saint-Augustin s’éteignit d’abord, le Panthéon, un instant garda une lueur bleuâtre, le dôme éclatant des Invalides se coucha comme une lune dans une marée montante de nuages. C’était l’Océan, la nuit, avec son étendue élargie au fond des ténèbres, un abîme d’obscurité où l’on devinait un monde. Un souffle énorme et doux venait de la ville invisible. Dans la voix prolongée qui ronflait, des sons montaient encore, affaiblis et distincts, un brusque roulement d’omnibus sur le quai, le sifflement d’un train traversant le pont du Point-du-Jour ; et la Seine, grossie par les derniers orages, passait très-large avec la respiration forte d’un être vivant, allongé tout en bas, dans un pli d’ombre. Une odeur chaude fumait des toits encore brûlants, tandis que la rivière, dans cette exhalaison lente des ardeurs de la journée, mettait de petites haleines fraîches. Paris, disparu, avait le repos rêveur d’un colosse qui laisse la nuit l’envelopper, et reste là, immobile un moment, les yeux ouverts.

Rien n’attendrissait plus Hélène que cette minute