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LES ROUGON-MACQUART.

de s’occuper de Jeanne, elle trouvait l’enfant plus pâle qu’elle, avec ses yeux noirs grands ouverts, le menton convulsé d’une colère contenue. Jeanne endurait ses tourments. Les jours où sa mère, à bout de force, agonisait d’amour en détournant les yeux, elle-même restait si sombre et si brisée, qu’il fallait la remonter et la coucher. Elle ne pouvait plus voir le docteur s’approcher de sa femme sans changer de visage, frémissante, le poursuivant du regard enflammé d’une maîtresse trahie.

— Je tousse le matin, lui dit-elle un jour. Il faut venir, vous me verrez.

Des pluies tombèrent. Jeanne voulut que le docteur recommençât ses visites. Elle allait beaucoup mieux cependant. Sa mère, pour la contenter, avait dû accepter deux ou trois dîners chez les Deberle. L’enfant, le cœur si longtemps déchiré par un combat obscur, parut se calmer, lorsque sa santé fut enfin complètement rétablie. Elle répétait sa question :

— Tu es heureuse, petite mère ?

— Oui, bien heureuse, ma chérie.

Alors, elle rayonnait. On devait lui pardonner ses anciennes méchancetés, disait-elle. Elle en parlait comme d’une attaque indépendante de sa volonté, d’un mal de tête qui l’aurait prise tout d’un coup. Quelque chose se gonflait en elle, bien sûr elle ne savait pas quoi. Toutes sortes d’idées se battaient, des idées vagues, de vilains rêves qu’elle n’aurait seulement pu répéter. Mais c’était passé, elle guérissait, ça ne reviendrait plus.