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UNE PAGE D’AMOUR.

Et elle eut, sans transition apparente, une de ces effusions qui surprenaient, avec sa nature d’oiseau charmant. Elle se serra contre son mari, levant la tête. Lui, indulgent et tendre, la tint un instant entre ses bras. Ils semblaient avoir oublié qu’ils n’étaient pas seuls.

Jeanne ne les quittait pas des yeux. Une colère faisait trembler ses lèvres décolorées, elle avait sa figure de femme jalouse et méchante. La douleur dont elle souffrait était si vive, qu’elle dut détourner les yeux. Et ce fut à ce moment qu’elle aperçut, au fond du jardin, Rosalie et Zéphyrin qui continuaient à chercher du persil. Pour ne pas déranger le monde sans doute, ils s’étaient coulés au plus épais des massifs, accroupis l’un et l’autre. Zéphyrin, sournoisement, avait pris un pied de Rosalie, pendant que celle-ci, sans parler, lui allongeait des tapes. Jeanne, entre deux branches, voyait la face du petit soldat, une lune bon enfant, très-rouge, crevant d’un rire amoureux. Il y eut une poussée, le petit soldat et la bonne roulèrent derrière les verdures. Le soleil tombait d’aplomb, les arbres dormaient dans l’air chaud, sans qu’une feuille remuât. Il venait de dessous les ormes une odeur, l’odeur grasse de la terre que la bêche ne retournait jamais. Lentement, les dernières roses thé laissaient leurs pétales pleuvoir un à un sur le perron. Alors, Jeanne, la poitrine gonflée, ramena les yeux sur sa mère ; et, en la retrouvant immobile et muette devant ce qui se passait là, elle eut pour elle un regard de suprême angoisse, un de ces regards profonds d’enfant que l’on n’ose interroger.

Cependant, madame Deberle s’était rapprochée, en disant :

— J’espère que nous allons nous voir… Puisque