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LES ROUGON-MACQUART.

avait joint ses deux petites mains dans du soleil. Comme elles paraissaient maigres ! comme elles étaient transparentes ! Le soleil passait au travers, et elles lui semblaient jolies tout de même, d’un rose de coquillage, fines et allongées, pareilles aux menottes enfantines d’un Jésus. Puis, le grand air, ces gros arbres autour d’elle, cette chaleur, l’avaient un peu étourdie. Elle croyait dormir, et pourtant elle voyait, elle entendait. Cela était très-bon, très-doux.

— Mademoiselle, si vous vous reculiez, dit Rosalie qui était revenue près d’elle. Le soleil vous chauffe trop.

Mais Jeanne, d’un geste, refusa de remuer. Elle se trouvait trop bien. À présent, elle ne s’occupait plus que de la bonne et du petit soldat, cédant à une de ces curiosités d’enfants pour les choses qu’on leur cache. Sournoisement, elle baissa les yeux, voulant faire croire qu’elle ne regardait pas ; et, entre ses longs cils, elle guettait, pendant qu’elle semblait tout assoupie.

Rosalie demeura encore là quelques minutes. Elle était sans force contre le bruit du râteau. De nouveau, elle rejoignit Zéphyrin, pas à pas, comme malgré elle. Elle le grondait de ses nouvelles allures ; mais, au fond, elle était saisie, prise au cœur, pleine d’une sourde admiration. Le petit soldat, dans ses longues flâneries avec les camarades, au Jardin des Plantes et sur la place du Château-d’Eau, où était sa caserne, acquérait les grâces balancées et fleuries du tourlourou parisien. Il en apprenait la rhétorique, les épanouissements galants, les entortillements de style, si flatteurs pour les dames. Des fois, elle restait suffoquée de plaisir, en écoutant des phrases qu’il lui rapportait avec un dandinement des épaules, et dans