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UNE PAGE D’AMOUR.

sins ne pouvaient voir, et qui apportait un rêve de forêt vierge, pendant que des orgues de Barbarie jouaient des polkas dans la rue Vineuse.

— Madame, disait chaque jour Rosalie, pourquoi Mademoiselle ne descend-elle pas dans le jardin ?… Elle serait joliment à son aise sous les arbres.

La cuisine de Rosalie était envahie par les branches d’un des ormeaux. Elle arrachait des feuilles avec la main, elle vivait dans la joie de ce colossal bouquet, au fond duquel elle n’apercevait plus rien. Mais Hélène répondait :

— Elle n’est pas encore assez forte, la fraîcheur de l’ombre lui ferait du mal.

Cependant, Rosalie s’entêtait. Quand elle croyait avoir une bonne idée, elle ne la lâchait point aisément. Madame avait tort de croire que l’ombre faisait du mal. C’était plutôt que madame craignait de déranger le monde ; mais elle se trompait, mademoiselle ne dérangerait pour sûr personne, car il n’y avait jamais âme qui vive, le monsieur n’y paraissait plus, la dame devait rester aux bains de mer jusqu’au milieu de septembre ; cela était si vrai, que la concierge avait demandé à Zéphyrin de donner un coup de râteau, et que, depuis deux dimanches, Zéphyrin et elle y passaient l’après-midi. Oh ! c’était joli, c’était joli à ne pas croire !

Hélène refusait toujours. Jeanne semblait avoir une grosse envie d’aller dans le jardin, dont elle avait souvent parlé pendant sa maladie ; mais un sentiment singulier, un embarras qui lui faisait baisser les yeux, paraissait l’empêcher d’insister auprès de sa mère. Enfin, le dimanche suivant, la bonne se présenta, tout essoufflée, en disant :

— Oh ! Madame, il n’y a personne, je vous le jure.