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LES ROUGON-MACQUART.

ber entre ses bras, lorsque Jeanne, derrière la porte refermée, s’était mise à crier : « Maman ! maman ! » d’une voix furieuse, comme si elle avait reçu le contre-coup du baiser ardent dont le médecin effleurait les cheveux de sa mère. Vivement, Hélène dut rentrer, car elle venait d’entendre l’enfant sauter du lit. Elle la trouva grelottante, exaspérée, accourant en chemise. Jeanne ne voulait plus qu’on la quittât. À partir de ce jour, il ne leur resta qu’une poignée de main, à l’arrivée et au départ. Madame Deberle était depuis un mois aux bains de mer avec son petit Lucien ; le docteur, qui disposait de toutes ses heures, n’osait passer plus de dix minutes auprès d’Hélène. Ils avaient cessé leurs longues causeries, si douces, devant la fenêtre. Quand ils se regardaient, une flamme grandissante s’allumait dans leurs yeux.

Ce qui surtout acheva de les torturer, ce furent les changements d’humeur de Jeanne. Elle fondit en larmes, un matin, comme le docteur se penchait au-dessus d’elle. Durant toute une journée, sa haine se tourna en une tendresse fébrile ; elle voulut qu’il restât près de son lit, elle appela sa mère vingt fois, comme pour les voir côte à côte, émus et souriants. Celle-ci, bienheureuse, rêvait déjà une longue suite de jours semblables. Mais dès le lendemain, lorsque Henri arriva, l’enfant le reçut si durement, que la mère, d’un regard, le supplia de se retirer ; toute la nuit, Jeanne s’était agitée avec le regret furieux d’avoir été bonne. Et, à chaque instant, de pareilles scènes se reproduisirent. Après les heures exquises que l’enfant leur accordait, dans ses moments de caresses passionnées, les mauvaises heures arrivaient comme des coups de fouet, qui leur donnaient le besoin d’être l’un à l’autre.