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LES ROUGON-MACQUART.

M. Rambaud, d’un air gai. Mais je parie que c’est très-bon… Veux-tu me permettre d’en boire un peu ?

Et, sans attendre la permission, il s’en versait une large cuillère et l’avalait sans une grimace, en affectant une satisfaction gourmande.

— Oh ! exquis ! murmurait-il. Tu as bien tort… Attends, rien qu’un petit peu.

Jeanne, amusée, ne se défendait plus. Elle voulait bien de tout ce que M. Rambaud avait goûté, elle suivait avec attention ses mouvements, semblait étudier sur son visage l’effet de la drogue. Et le brave homme, en un mois, se gorgea ainsi de pharmacie. Lorsque Hélène le remerciait, il haussait les épaules.

— Laissez donc ! c’est très-bon ! finissait-il par dire, convaincu lui-même, partageant pour son plaisir les médicaments de la petite.

Il passait les soirées auprès d’elle. L’abbé, de son côté, venait régulièrement tous les deux jours. Et elle les gardait le plus longtemps possible, elle se fâchait lorsqu’elle les voyait prendre leurs chapeaux. À présent, elle redoutait d’être seule avec sa mère et le docteur, elle aurait voulu qu’il y eût toujours du monde là, pour les séparer. Souvent elle appelait Rosalie sans motif. Quand ils restaient seuls, ses regards ne les quittaient plus, les poursuivaient dans tous les coins de la chambre. Elle pâlissait, dès qu’ils se touchaient la main. S’ils venaient à échanger une parole à voix basse, elle se soulevait, irritée, voulant savoir. Même elle ne tolérait plus que la robe de sa mère, sur le tapis, effleurât le pied du docteur. Ils ne pouvaient se rapprocher, se regarder, sans qu’aussitôt elle fût prise d’un tremblement. Sa chair endolorie, son pauvre petit être innocent et malade avait une irritation de sensibilité extrême, qui la faisait brus-