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UNE PAGE D’AMOUR.

bien ce que tu dis ?… Les remèdes ne sont jamais bons. Il faut prendre celui-là.

Mais Jeanne garda son silence entêté, tournant la tête pour ne pas avaler la potion. À partir de ce jour, elle fut capricieuse, prenant ou ne prenant pas les remèdes, selon son humeur du moment. Elle flairait les fioles, les examinait avec méfiance sur la table de nuit. Et quand elle en avait refusé une, elle la reconnaissait ; elle serait plutôt morte que d’en boire une goutte. Le digne M. Rambaud pouvait seul la décider parfois. Elle l’accablait maintenant d’une tendresse exagérée, surtout lorsque le docteur était là ; et elle coulait vers sa mère des regards luisants, pour voir si elle souffrait de cette affection qu’elle témoignait à un autre.

— Ah ! c’est toi, bon ami ! criait-elle dès qu’il paraissait. Viens t’asseoir là, tout près… Tu as des oranges ?

Elle se soulevait, elle fouillait en riant dans ses poches, où il y avait toujours des friandises. Puis, elle l’embrassait, jouant toute une comédie de passion, satisfaite et vengée du tourment qu’elle croyait deviner sur la face pâle de sa mère. M. Rambaud rayonnait d’avoir ainsi fait la paix avec sa petite chérie. Mais, dans l’antichambre, Hélène, en allant à sa rencontre, venait de l’avertir, d’un mot rapide. Alors, tout d’un coup, il semblait apercevoir la potion sur la table.

— Tiens ! tu bois donc du sirop ?

Le visage de Jeanne s’assombrissait. Elle disait à demi-voix :

— Non, non, c’est mauvais, ça pue, je ne bois pas de ça !

— Comment ! tu ne bois pas de ça ? reprenait